Trinkhalle, 24 juillet
Le dernier week-end de « Rossini in Wildbad » commençait avec la résurrection de Pierre de Médicis, opéra du Prince Joseph Poniatowski (1816-1873), compositeur méconnu de la famille des derniers rois de Pologne. Personnage au destin romanesque qui fut tour à tour artiste lyrique (ténor), homme politique et diplomate, et composa treize opéras en italien et en français. Créé en 1860 à la Salle Le Peletier, ce « grand opéra » en quatre actes, sur un livret de Saint-Georges et Pacini, n’a connu que deux productions modernes assez médiocres, faisant de cette version de concert une véritable (re-)découverte. Si l’œuvre sacrifie aux poncifs du « grand opéra » – goût du décorum très développé avec des ensembles chorals tirant un peu à la ligne, un ballet de vingt-cinq minutes, vaguement métaphorique (« Les amours de Diane ») où le pittoresque domine, – on reste fasciné par sa richesse musicale qui compense largement les faiblesses d’un livret pseudo-historique.
L’intrigue met en scène la rivalité de deux frères, Pierre et Julien de Médicis, dont le premier use de son pouvoir pour s’approprier la femme aimée du second, aidé par l’Inquisiteur Fra Antonio, oncle de la dame, qui voit dans ce mariage l’opportunité de renforcer la gloire de sa famille. Sur cette donnée, le compositeur élabore une partition dominée par des ensembles d’une grande complexité, la plupart avec chœurs (deux duos, un grand quintette, un trio), des finales grandioses et survoltés, et quelques airs solistes dont celui du baryton au quatrième acte et la prière de la soprano au troisième figurent parmi les plus intéressants. Certains numéros, surtout dans les deux derniers actes, ne dépareraient pas un opéra de la seconde période de Verdi. Ajoutons à ce sens du théâtre un raffinement et une grande originalité dans l’orchestration, et l’on comprendra le succès que connut l’œuvre à sa création, auquel Berlioz lui-même apporta sa part de louanges, appréciant le scénario mais déplorant la médiocrité des vers.
Il revient au ténor d’assumer le rôle-titre, un antihéros tyrannique. Avec une voix un peu légère pour une tessiture de ténor lyrique assez centrale dans une orchestration plutôt nourrie, Patrick Kabongo donne le meilleur de lui-même, musicalité et diction parfaites, incarnation très sentie du personnage dans ses aspects élégiaques, particulièrement dans son ultime scène de repentir. Sur le même niveau d’excellence se place Nathanaël Tavernier, dont la splendide basse noble fait merveille dans le rôle de Fra Antonio, ajoutant à la clarté de l’articulation et au naturel du chant une caractérisation très subtile de son personnage. Claudia Pavone, confrontée à une tessiture exigeante de lirico spinto, laisse entendre un aigu en force quelque peu strident et, dans la cabalette de son premier air, une maîtrise limitée de la colorature, mais elle apporte une belle présence au rôle. Entachée par une articulation approximative, l’émission du baryton espagnol César San Martin manque de netteté, mais il se rattrape largement dans son très bel air auquel il donne beaucoup de relief. D’une brochette d’excellents comprimari, tous issus de l’Akademie BelCanto, on distinguera particulièrement le ténor chinois Anle Gou, d’une clarté parfaite en Monti.
Le chœur et l’orchestre de la Szymanowski-Philharmonie de Cracovie apportent une contribution de haut niveau à cette résurrection, les premiers parfaitement homogènes et globalement compréhensibles, les seconds sans faille dans une orchestration qui sollicite énormément les vents. José Miguel Pérez-Sierra dirige avec une énergie concentrée et beaucoup de conviction cette étonnante exhumation dans sa version révisée de 1861, avec son improbable finale tragique. On regrette que le concert n’ait pas bénéficié d’une captation radiophonique qui aurait pu servir de base à une publication, que l’originalité de l’œuvre et la qualité de cette exécution justifiaient pleinement.
ALFRED CARON