Maison de la Radio et de la Musique, Studio 104, 13 juin
Avec cet enregistrement d’Athalie se clôt la grande aventure, initiée voici plus de dix ans, de l’intégrale Racine coproduite par la Comédie-Française et France Culture. Une occasion rare d’entendre l’ultime pièce de Racine (1691) avec sa musique d’origine, due, comme celle de l’autre tragédie biblique, Esther, à Jean-Baptiste Moreau (1656-1733), maître de musique des Demoiselles du pensionnat fondé, à Saint-Cyr, par Madame de Maintenon.
Qui s’attendait à un spectacle, à l’instar des Fâcheux de Molière donnés ici même en octobre 2022, où les comédiens, en costumes, bougeaient et jouaient entre eux sur le plateau, aura été déçu, car ici l’objectif était une stricte lecture, fixe devant micros, en vue, après montage, de la création du nouveau podcast. Aussi, en cas d’erreur de texte, le vers est-il immédiatement répété en rectifiant le passage où l’on a trébuché – de quoi perturber l’auditeur, d’autant que ces redites techniques se sont faites de plus en plus fréquentes au fur et à mesure qu’avançait la soirée.
Autre facteur de frustration, la relégation des chanteuses en fond de plateau, derrière l’orchestre, donc avec un impact sonore atténué, alors que, dans cette tragédie sacrée, la musique, loin de jouer un rôle décoratif confiné aux seuls intermèdes, est vraiment au centre de la dramaturgie, comme l’expression en action de la foi des Juifs dans leur Temple, avec même par endroits des interactions entre chant et action, voire des apostrophes directes au chœur par certains personnages.
Fastidieuses enfin, car faisant retomber la tension dramatique, les longues minutes de réaccord des instruments, évidemment indispensables pour un enregistrement exploitable. De tout cela, on aurait pu s’accommoder si ce qu’on entendait, de la divine musique de la langue de Racine, comme de celle, de fort belle facture, de Jean-Baptiste Moreau, avait comblé nos attentes.
Tel n’a pas été le cas. On a surtout été gêné par le manque de cohérence dans la façon de dire le vers, les uns, comme le fier Joad d’Éric Génovèse ou le subtil Abner de Denis Podalydès, en respectant son unité et sa continuité, et faisant soigneusement entendre diérèses, « e » muets, élisions et liaisons ; les autres au contraire le morcelant, négligeant les liaisons voire, telle Dominique Blanc, ajoutant cris et soupirs. On ne saurait nier que cette Athalie a du relief, voire une certaine monstruosité, mais maints effets confinent au Grand-Guignol. Citons en contrepoint l’art plus modeste, jusqu’à l’effacement, de Véronique Vella en Josabeth, ferme dans sa timidité, et la grande fraîcheur de Gabriel Draper, émouvant Joas/Eliacin.
Côté musique, le bilan est tout aussi contrasté, malgré la caution du Centre de Musique Baroque de Versailles, où Lucile de Trémiolles est cheffe assistante. Sous sa direction, stylée quoique insuffisamment dramatique et contrastée, les instrumentistes sont d’excellente tenue, mais les six chanteuses du CMBV ont des voix bien vertes, et pour certaines plutôt coincées dans l’aigu, avec de surcroît pour la plupart une diction incompréhensible, tant en chœur qu’en solo : défaut rédhibitoire quand on sait combien, dans le chant français de l’époque, une intelligibilité parfaite était l’exigence première. Gageons qu’en leur temps les Demoiselles de Saint-Cyr furent plus performantes !
Cette séance destinée aux micros et non au public n’aurait-elle pas dû être gratuite ?
THIERRY GUYENNE