Salon d’Hercule, 18 juin
Si le Salon d’Hercule et son décor Grand Siècle offrent un cadre somptueux à cette exécution de concert de La morte d’Orfeo, tragi-comédie pastorale en cinq actes de Stefano Landi, on ne saurait en dire autant de son acoustique. Les ensembles polyphoniques y perdent leur clarté et paraissent à la limite de la cacophonie. Quant aux chanteurs, leur intelligibilité, même dans le récitatif, reste assez aléatoire d’un soliste à l’autre, selon le type de voix concernée, les voix graves et intermédiaires restant au final les plus favorisées.
Des lors, l’auditeur doit souvent se contenter d’une impression générale, quelque peu aidée par le bref argument fourni dans le programme, pour accéder au sens même de certaines scènes, ce que la distribution passant d’un rôle à l’autre complique singulièrement. C’est d’autant plus dommage que venant après l’achèvement des sessions d’enregistrement, chacun a remarquablement travaillé son ou ses rôles car, autant que le chant et la musique, le théâtre règne en maître dans cet « opéra » qui balance en permanence entre gravité et humour. Chez le compositeur romain se sent bien sûr l’influence de Monteverdi et de son Orfeo, mais aussi des aspects satiriques de l’opéra vénitien naissant. L’œuvre du reste fut créée en 1619 à Padoue, ville voisine de la Sérénissime.
Parmi les solistes réunis par Stéphane Puget se font singulièrement remarquer les deux solides basses, Alessandro Ravasio (Furore et Caronte) et Alexandre Adra (Ebro et Giove). Claire Lefiliâtre en Teti mène le Prologue et les échanges des déités parmi lesquelles figurent Anaïs Yvoz et Floriane Hasler avant que ne commence l’action proprement dite. Le contre-ténor Paul Figuier fait valoir son timbre chaleureux en Mercurio et se transforme en furie pour incarner Bacco. Marco Angioloni caractérise à plaisir ses deux personnages, notamment un Ireno vibrionnant et le plus épisodique Apolline.
Dans cet épisode conforme au mythe, Orfeo apparaît après avoir échoué à ramener Euridice des Enfers et se fait déchiqueter par les Bacchantes. Tentant une dernière entrée aux Enfers, il se voit refuser le passage et c’est dans l’Olympe que Giove l’accueille au rang des immortels. Dans le rôle-titre, Juan Sancho dispose d’un ténor clair et brillant un peu mis à mal par son air d’entrée hérissé d’ornements, mais il se distingue dans les passages plus lyriques. Sortant du groupe des emplois « choryphée », Isabelle Druet incarne de façon émouvante Calliope, la mère d’Orfeo, dans sa grande lamentation de l’acte IV. Haasna Bennani prête à une Euridice diaphane engluée d’oubli son beau soprano lyrique léger.
Dirigeant du clavecin onze instrumentistes de son ensemble Les Épopées, Stéphane Fuget donne un lecture tendue et variée, pleine de contrastes de cette bizarre tragi-comédie pleine de surprises, à l’invention musicale sans cesse renouvelée. Toutes les qualités d’une exécution à laquelle le lieu ne rend pas pleinement justice pourront être appréciées avec le CD que devrait publier le label Château de Versailles Spectacles en 2026.
ALFRED CARON