Esglesia del Carme, 18 avril
Pour ses débuts au festival, Benjamin Appl a proposé un concert sacré germanique ayant pour cœur la célébrissime cantate « Ich habe genug » BWV 82 de Bach, où le vieux Syméon se réjouit de pouvoir mourir après avoir, conformément à la prédiction, vu le Messie : épisode qui à dire vrai n’a pas toute sa place lors du Vendredi saint. On apprécie néanmoins la variété d’un programme entremêlant Sinfonie et airs de cantates ou de Passion de J.S. Bach avec différentes pièces d’Erlebach, Zelenka et Telemann.
Depuis l’orgue positif, Dani Espasa dirige avec diligence, et des enchaînements hardis, son ensemble Vespres d’Arnadí, d’une sonorité enveloppante.
Le baryton allemand fait valoir un certain moelleux dans le timbre, mais le mordant et le focus sont insuffisants, surtout dans une acoustique où la voix paraît souvent sourde et noyée dans l’orchestre, ce chant joli mais narcissique et à la rhétorique limitée manquant finalement de contrastes comme d’expression. C’est particulièrement frappant dans la BWV 82 où font défaut le grave – notes et harmoniques – comme l’intériorité. De cet artiste très médiatisé qui pose à l’héritier de Dietrich Fischer-Dieskau, dont il fut effectivement l’élève – et à qui il va bientôt rendre hommage dans une tournée du centenaire de sa naissance –, c’est peu de dire que, malgré le hautbois inspiré de Daniel Lanthier, il est très loin de l’éloquence et de la précision musicale et technique de son aîné ; comme d’ailleurs de la bouleversante humanité d’un Hans Hotter, autre référence dans cette pièce.
L’émotion, nous l’avons eue heureusement plus tard dans la soirée, avec la création des Responsoris de Setmana Santa de Bernat Vivancos (né en 1973), œuvre chorale a cappella dont le compositeur catalan a conçu le projet lorsqu’à onze ans il chanta, comme enfant de chœur au monastère de Montserrat, les Lamentations de Victoria. Quarante ans plus tard, grâce à une commande du Festival de Peralada, cette œuvre d’une haute spiritualité, aux grandes lignes horizontales convenant aussi bien au Chœur de la Radio lettone – son dédicataire – qu’à l’acoustique du lieu, retentit pour la première fois, dans une église bondée, le public retenant son souffle lorsque meurent les dernières harmonies.
L’émotion était de nouveau au rendez-vous le lendemain, Samedi saint, après un beau premier concert violoncelle-piano (Pablo Ferrández-Luis del Valle), pour de très inspirés Membra Jesu Nostri – sept cantates de Buxtehude célébrant chacune une partie du corps du Sauveur, – par le jeune ensemble vocal et instrumental barcelonais Cantoría, dirigé par Jorge Losana. Les dix chanteurs alternent chœurs et soli, qu’ils se partagent, avec des voix parfois un peu vertes (les deux sopranos) ou fragiles (le contre-ténor), mais toujours éloquentes et sensibles, en une mise en espace autour d’un Jésus en croix.
THIERRY GUYENNE