Théâtre des Champs-Élysées, 5 février
En mai 1924, la troupe du Staatsoper de Vienne donnait, au Théâtre des Champs-Élysées, sous la direction de Franz Schalk, un ensemble de représentations de plusieurs ouvrages de Mozart. Un siècle plus tard, revoici les forces de la maison, sur la même scène, avec leur directeur musical, Philippe Jordan, à l’occasion d’une version de concert de Don Giovanni, reflet de la récente reprise de la production signée Barrie Kosky, dont la distribution diffère largement de celle que Mehdi Mahdavi avait entendue, en juin 2022 (voir O. M. n° 185 p. 78 de septembre).
En réalité, Martin Hässler est le seul interprète commun aux deux. Il campe, ici, un Masetto dans la moyenne, qui permet à Alma Neuhaus, avec un joli timbre fruité, d’être la Zerlina qu’on attend.
Antonio Di Matteo a les notes sépulcrales du Commandeur, mais Federica Lombardi n’a rien de l’amoureuse blessée qu’est Donna Elvira. Des aigus sans douceur, un phrasé bousculé, elle se comporterait presque avec Don Giovanni, lors de leur première scène commune, comme Carmen face à Don José !
Slavka Zamecnikova forme, avec Bogdan Volkov, un couple presque idéal : la première, très à l’aise dans les vocalises de « Non mi dir », est une Donna Anna d’une grande noblesse. Le second, surtout, incarne un Don Ottavio sonore et viril, sans la moindre mièvrerie, qui atteint presque à l’héroïsme dans « Il mio tesoro ». Voilà, sans doute, le chanteur le plus convaincant d’un ensemble où se distingue, également, Peter Kellner. Sans posséder un instrument exceptionnel, il a l’abattage et la présence scénique qu’on attend de Leporello.
Plus ogre que séducteur, Christian Van Horn est un Don Giovanni de grand format. La voix du baryton-basse américain est projetée avec l’assurance qui convient au « grand seigneur méchant homme », auquel il manque, toutefois, le charme, la séduction, l’ambiguïté.
Les solistes chantent tous par cœur, avec une animation scénique sans grand risque, qui met un certain temps à trouver son rythme. On salue le chœur du Staatsoper de Vienne, impeccable dans ses brèves interventions.
Au pupitre et au pianoforte – où il ne fait pas la révolution –, Philippe Jordan dirige un orchestre dynamique, dont on aimerait qu’il soit plus riche de couleurs. Rien n’est laissé au hasard : les premiers et seconds violons sont de part et d’autre du chef, le vibrato est contrôlé, le tutti des cordes n’est utilisé que dans les moments dramatiques.
Mais les bois sont éteints, les timbales un peu envahissantes, et l’ensemble laisse une impression de confort – ah, les trombones moelleux de l’avant-dernière scène ! –, là où certaines formations sur instruments historiques choisissent l’aventure et le vertige.
CHRISTIAN WASSELIN