Les revendications féministes et la déconstruction de la fatalité de genre concernent aussi l’art lyrique. Pour preuve, la manifestation exceptionnelle du 9 janvier 2023 au Trianon autour de la représentation de No(s) Dames, actuellement en tournée dans toute la France.
On en débat dans les réunions de famille, et même à Noël. L’assignation de genre, taillée en pièces par Judith Butler ou Paul B. Preciado, autant que la domination masculine sont désormais fort contestées. Ces thèmes sont au cœur de la manifestation du 9 janvier 2023 au Trianon, qui s’ouvre par un débat avec Catherine Clément. En 1979, celle-ci démontre, avec son livre L’Opéra ou la défaite des femmes, que les ouvrages du grand répertoire comportent leurs immolations féminines : suicide, ensevelissement, maladie mortelle, folie, crémation. Depuis, l’affaire Harvey Weinstein s’est produite… Au Trianon, suivent un concert de Juliette et de Zaza Fournier, puis la représentation de No(s) Dames avec le contre-ténor Théophile Alexandre et le Quatuor Zaïde. Les arrangements sont signés Éric Mouret. Le chanteur incarne notamment Carmen, Dalila, Violetta, Juliette, Norma et l’Eurydice de Gluck. « Je ne vois pas de différences entre ces héroïnes. Je voyage avec elles, exposées à la mort sur scène, à la vue du public », explique Théophile Alexandre qui n’hésite pas à faire le grand écart entre Carmen et Dalila – des mezzos – et ces autres grandes dames – des sopranos de tous types.
Depuis 2021, No(s) Dames a été présenté dans une quarantaine de villes. Coproduit par l’Opéra de Limoges et la Scène nationale du Havre, le travail mis en scène par Pierre-Emmanuel Rousseau révèle une distinction de taille. Théophile Alexandre s’en explique : « Je ne donne pas dans #MeToo. Il existe, à l’opéra, des hommes victimes, cassant le cliché du mâle alpha. Qu’on pense à Pelléas ou à Tristan ! Grâce à No(s) Dames, je relis un héritage culturel, légué par les compositeurs avec des librettistes conduisant leurs héroïnes à la mort. Notre lecture est une lecture artistique. »
La soirée du Trianon s’accompagne aussi de la sortie d’un livre illustré, dont la réalisation est signée Arièle Butaux: Les Interviews No(s) Dames. Réflexions sur les corsets de genre de notre culture. Le livre rassemble seize témoignages, dont ceux de Catherine Clément, Maguy Marin, Brigitte Lefèvre et Laurence Equilbey. Cette dernière raconte: « Quand je me suis mariée, mon mari a refusé que je fasse de la direction d’orchestre. » Or, les futurs conjoints s’étaient rencontrés dans un cours de… direction d’orchestre ! Les initiatives du Trianon s’inscrivent dans un combat pour un monde plus juste. Et de s’insurger avec Théophile Alexandre: « Aux femmes la direction musicale, à l’homme les agonies de divas ! »
PHILIPPE OLIVIER
Un article à retrouver dans LYRIK n°3.
À voir :
No(s) Dames, avec le Quatuor Zaïde et Théophile Alexandre (contre-ténor), dans une mise une scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, au Théâtre Le Rayon Vert, à Saint-Valery-en-Caux, le 16 décembre 2022, au Trianon, à Paris, le 9 janvier et le 11 avril 2023, et en tournée.
À lire :
Les Interviews No(s) Dames. Réflexions sur les corsets de genre de notre culture, éditions Up to The Moon. Disponible sur boutique.causette.fr ou sur nomadmusic.fr.