Opéra, 8 novembre
Le premier « opera seria » écrit par Rossini pour le San Carlo de Naples, en 1815, n’avait jamais été proposé au public marseillais. Cette version de concert vient opportunément compléter cette lacune, même si, il faut en convenir, Elisabetta, regina d’Inghilterra ne compte pas parmi les chefs-d’œuvre du compositeur. La tension dramatique apparaît relative, voire morcelée, et presque exclusivement réservée au personnage d’Elisabetta, créé par la diva du San Carlo, et future épouse de Rossini, Isabella Colbran.
C’est dans ce rôle particulièrement difficile que Karine Deshayes a effectué, en août 2021 (voir O. M. n° 176 p. 58 d’octobre), ses débuts scéniques à Pesaro. À Marseille, elle confirme sa totale maîtrise du style, franchissant les écarts meurtriers de la tessiture avec détermination. Sa science de la vocalise fait merveille, imposant une agilité toujours de circonstance.
Son chant parcourt toute la gamme des sentiments d’Elisabetta, du trouble amoureux aux éclatantes colères. Un bas médium plus fourni et davantage projeté serait parfois nécessaire, mais le personnage existe, tant sur le plan vocal que scénique, en particulier dans la redoutable cabalette finale, qui soulève l’enthousiasme du public.
Giuliana Gianfaldoni incarne Matilde, épouse secrète de Leicester et fille cachée de Marie Stuart (!), donc objet d’une double détestation de la part de la reine d’Angleterre. Si la voix manque un peu d’ampleur, la soprano italienne chante avec finesse et un joli sens de l’ornementation. Complétant l’équipe féminine, dans le bref rôle d’Enrico, beau-frère et ami de Leicester, la mezzo française Floriane Hasler fait valoir une réelle expressivité.
Écrit pour un baritenore de légende, Andrea Nozzari, Leicester ne met pas pleinement en valeur les qualités musicales de Julien Dran. Sa voix de ténor lyrique, même si elle a gagné en épaisseur, ces dernières années, peine à se glisser dans cette tessiture. Des tensions se font sentir, l’obligeant à forcer ses beaux moyens, au détriment de la caractérisation du personnage, sauf dans son air du II, parfaitement maîtrisé, avec ce qu’il faut de délié.
Ruzil Gatin campe, avec vérité et instinct, l’odieux Norfolk, créé par le fameux Manuel Garcia. Doté d’une émission haute et acérée, le ténor russe expose un matériau imposant, mais encore trop brut. La vocalise doit être affinée, et le legato conduit avec plus de netteté. Le Chœur de l’Opéra de Marseille, habilement préparé par Emmanuel Trenque, affirme sa générosité et son plaisir de chanter Rossini.
Très applaudi, Roberto Rizzi Brignoli entraîne l’Orchestre de l’Opéra de Marseille d’un geste à la fois vif, éloquent et sensible, pour une lecture extrêmement théâtrale.
Une nouvelle soirée de qualité, à inscrire au bénéfice de la politique artistique menée par Maurice Xiberras et ses équipes.
JOSÉ PONS