Grand Théâtre, 25 octobre
Après L’Affaire Makropoulos et Jenufa, les saisons passées, le Grand Théâtre de Genève poursuit son exploration du répertoire de Janacek, avec une très belle Katia Kabanova, créée, au printemps 2022, par le Deutsche Oper am Rhein, son coproducteur.
Dans cette mise en scène de Tatjana Gürbaca, pas d’espace extérieur, ni même de Volga (on la voit seulement, sous forme de vidéo, avant le début de l’action) : le drame se déroule dans une sorte de caisse en bois, trouée de fenêtres et d’ouvertures, elles-mêmes fermées par des toiles sombres. Ce même système de toiles permet de créer plusieurs espaces dans la profondeur du plateau, tantôt ouverts ou fermés, jusqu’à la scène finale où Katia, s’extirpant de ce monde désespérément clos, sort du plateau. Un décor symbolique, signé Henrik Ahr, figurant l’enfermement physique comme psychologique de l’héroïne, mais dont le cloisonnement n’empêche pas l’action de circuler librement.
Dans cette réalisation, on retient, avant tout, la direction d’acteurs, fine, lisible, pertinente, qui tient habilement réunis le drame et des moments plus légers, voire grotesques. La scène de l’orage est particulièrement réussie, avec son beau tableau d’ensemble et la pluie tombant des cintres, de même que la fin de ce même acte, où les personnages, à l’exception de Katia, répètent en boucle les mêmes gestes quotidiens : se forçant à reprendre la vie là où ils l’ont laissée (avant que l’héroïne n’avoue publiquement son adultère), tandis que Katia ne peut s’y résoudre et se débat en vain dans l’immobilisme ambiant.
Sobre et efficace, cette production est servie par de formidables interprètes, en premier lieu la Katia de Corinne Winters et la Varvara d’Ena Pongrac. La première allie un timbre profond à l’allure juvénile de son personnage, incarnant ainsi les contradictions et les tensions de l’héroïne. La voix, très solide, se déploie magnifiquement vers l’aigu, servie par une force dramatique indéniable. Ena Pongrac est, quant à elle, rayonnante de fraîcheur et de naturel.
Chant clair, expressivité scénique, Sam Furness et Ales Briscein incarnent deux faces du sentiment amoureux – l’un décomplexé, l’autre plus torturé –, tandis que le Tikhon de Magnus Vigilius se voit tiraillé entre pathétique et ridicule, tout comme il est tiraillé entre sa mère et sa femme. Le chanteur parvient à susciter une forme de pitié pour son personnage, et lui donne même, aux moments clés, une belle profondeur.
À l’inverse, Elena Zhidkova et Sami Luttinen (remplaçant Tomas Tomasson au pied levé, en ce 25 octobre) sont tout entiers dans le grotesque et la caricature voulus par la mise en scène, ce qui n’empêche pas de rendre leurs silhouettes particulièrement antipathiques, quitte à en exagérer la portée farcesque. Les petits rôles, enfin, sont très bien tenus, en particulier le Kouliguine de Vladimir Kazako.
En fosse, Tomas Netopil dirige un superbe Orchestre de la Suisse Romande : le chef tchèque rend toute la palette d’atmosphères déployée par Janacek, des pages les plus sinueuses et délicates, où la musique semble couler comme la Volga, aux accords plus dramatiques et acérés. Pleine d’élan, mouvante, cette direction emporte les chanteurs avec elle et se fond dans les contours des voix, et les reliefs de la diction.
CLAIRE-MARIE CAUSSIN