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Callas : une « apparition » à la Bourse de Commerce 

09/08/2022
© VG Bild-Kunst, Bonn 2022. Photo © Andrea Rossetti.

À la Collection Pinault, la plasticienne Dominique Gonzalez-Foerster se laisse habiter par Maria Callas dans une performance spectrale. Qui rappelle la place de choix occupée par l’opéra dans son œuvre inclassable.   

Comme le fantôme de Belphégor hante notre Louvre imaginaire, celui de Maria Callas a pris ses quartiers dans l’écrin parisien de la Collection Pinault, où même les esprits les plus cartésiens pourront le croiser jusqu’au 2 janvier 2023. Pour l’apercevoir, il faut grimper jusqu’au premier étage. Direction la Galerie 3, d’où s’échappent des envolées lyriques, telles une confirmation du lieu du rendez-vous. À l’intérieur, l’obscurité. Les rétines mettent quelques secondes à s’habituer puis, très vite, l’œil remarque la silhouette au fond de la chambre noire. Toute de rouge vêtue, elle chante, puis s’estompe jusqu’à disparaître.  L’instant d’après, elle réapparaît, se précise à nouveau… et bis repetita, pendant huit minutes trente. Trois arias vont accompagner sa prestation spectrale, tirées de Medea de Cherubini, de La traviata de Verdi, et de La Gioconda de Ponchielli.  

Dominique Gonzalez-Foerster, OPERA (QM.15), vue d’exposition, Esther Schipper, Berlin, 2016. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie Esther Schipper, Berlin © VG Bild-Kunst, Bonn 2022. Photo © Andrea Rossetti.

Les curieux entrés là par hasard, les pressés qui n’ont pas lu le cartel à l’entrée, croient reconnaître la soprano dans cet hologramme. D’autres, plus familiers de son sens exceptionnel de la dramaturgie, décèlent quelque chose d’inhabituel, d’« amateur » dans sa gestuelle, malgré la ressemblance confondante. En scrutant à distance les traits du spectre, ils réalisent peu à peu le tour de passe-passe orchestré par Dominique Gonzalez-Foerster. 

DGF : un opéra a elle toute seule 

Figure majeure de l’art contemporain née en 1965, la Française signe là l’une des performances qui ont contribué à son aura internationale : ses fameuses « apparitions ». Cette dénomination désigne une série d’œuvres amorcée en 2012. L’artiste y incarne des personnages bien réels ou imaginaires censés former un opéra sans début ni fin, intitulé M.2062. Au fil du temps, et de différents dispositifs, on l’a vue fusionner avec Bob Dylan, Vera Nabokov, Emily Brontë, Louis II de Bavière, etc. En 2016, dans le cadre d’une exposition « rétrospective et prospective » que lui consacre le Centre Pompidou, elle imagine la triple apparition de Sarah Bernhardt jouant L’Aiglon, de Marylin Monroe dans The Misfits (Les Désaxés, 1961)et de Maria Callas. Depuis, le troisième module a pris son indépendance. Et il s’invite en « solo » à la Bourse de Commerce sous le titre OPERA (QM.15).   

Dominique Gonzalez-Foerster, 2020 © Giasco Bertoli

Placé au cœur même du dispositif, le spectateur vit une expérience sensorielle qui pourrait s’apparenter à une séance de spiritisme. Dominique Gonzalez-Foerster n’imite pas la Callas ; elle la laisse l’habiter, comme dans une transe. Les extraits choisis pour l’accompagner remontent à l’époque où la soprano était au sommet de son art, tandis que sa longue tenue écarlate renvoie à l’ultime tournée de l’icône, achevée un peu moins de trois ans avant sa mort. Deux êtres et deux époques distantes fondues en une même enveloppe corporelle… 

Caruso dans la jungle  

Avec Callas comme avec toutes ces présences insaisissables, la lauréate du Prix Marcel Duchamp 2002 interroge les frontières mouvantes du passé et du présent, de la fiction et de la réalité, tout en convoquant le souvenir de prestations artistiques marquantes. Et la Divina n’est pas la seule à la relier à l’univers lyrique. Une autre de ses « apparitions » a particulièrement imprimé les esprits. Dominique Gonzalez-Foerster s’y laissait envahir par Klaus Kinski interprétant le Fitzcarraldo (1982) du cinéaste Werner Herzog. En costume blanc, un gramophone à la main, elle devenait ce baron du caoutchouc possédé, hurlant, sur la voix de Caruso, son désir de construire un opéra au beau milieu de la jungle amazonienne.

Dominique Gonzalez-Foerster M.2062 (Fitzcarraldo), 2014, vue d’exposition : Dominique Gonzalez-Foerster, 1887–2058, Centre Pompidou, Paris, 2015–16. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie Esther Schipper, Berlin © VG Bild-Kunst, Bonn 2022. Photo © Andrea Rossetti.

Les recherches de Dominique Gonzalez-Foerster sont si diverses, ses collaborations si multiples qu’elles échappent aux tentatives de classification comme une savonnette à des mains mouillées. Mais, à en croire ce qu’écrit l’artiste et cinéaste Tristan Bera, « c’est à partir de 2007, et sa participation à Il Tempo del Postino, « le premier opéra d’arts visuels au monde » […] que l’opéra, en tant que genre et format, et la performance scénique entrent dans son répertoire et deviennent une source de réflexion dans sa pratique des arts visuels »

Du Staatsoper de Vienne au Palais Garnier 

Dominique Gonzalez-Foerster, Helen & Gordon (au centre) et Marienbad électrique (à droit), vue d’exposition, Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Metz, France (27/06/2019 – 07/09/2019). Courtoisie de l’artiste et de la Galerie Chantal Crousel, Paris. © Centre Pompidou-Metz / Photo : Jacqueline Trichard. © Dominique Gonzalez-Foerster / ADAGP, Paris (2022).

En 2015, elle succède, entre autres, à Tacita Dean, Franz West, Cy Twombly ou encore David Hockney, dans le cadre d’un projet de l’association museum in progress, qui sélectionne chaque saison un artiste, afin qu’il prenne possession du rideau de fer du Staatsoper de Vienne. Au centre d’une photo couleur de 176 m2, elle recrée la pose de la peintre expressionniste américaine Helen Frankenthaler, pour un célèbre cliché de Gordon Parks, publié dans le magazine Life en 1957. Quatre ans plus tard, elle imagine, à l’occasion de l’exposition « Opéra Monde. La quête d’un art total » du Centre Pompidou-Metz, une nouvelle « apparition » holographique. Dans Marienbad électrique, sa fusion avec l’actrice Delphine Seyrig est double. Tantôt blonde, en référence au film d’Harry Kümel, Les Lèvres rouges (1971), tantôt brune, pour évoquer L’Année dernière à Marienbad (1961) d’Alain Resnais, elle s’invite dans les loges de l’Opéra-Théâtre de Metz et du Palais Garnier. 

L’artiste ira-t-elle encore plus loin dans son dialogue avec le monde lyrique ? Sur le site de la Galerie Chantal Crousel, qui la représente, une mention discrète évoque son envie de se frotter à la mise en scène. En attendant que le projet se concrétise, la Bourse de Commerce ne nous donne pas seulement l’occasion d’assister au mirage-miracle de ses apparitions. Elle nous offre de retrouver Callas en cant-actrice d’un opéra d’éternité.  

STÉPHANIE GATIGNOL

À voir :

OPERA (QM.15) de Dominique Gonzalez-Foerster est présenté dans le cadre de l’exposition « Une seconde d’éternité » à la Bourse de Commerce – Pinault Collection, jusqu’au 2 janvier 2023.

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