Grand Théâtre, 15 décembre

Dévoilée au Theater an der Wien, en novembre 2014 (voir O. M. n° 102 p. 61 de janvier 2015), la mise en scène des Pêcheurs de perles, signée Lotte de Beer, arrive au Grand Théâtre de Genève sans avoir pris une ride, tant elle était factice dès le départ.

On rappellera brièvement que la réalisatrice néerlandaise, concédant que l’opéra de Bizet reste « d’une grande pertinence émotionnelle », le trouve toutefois « pittoresque pour l’époque des empires coloniaux, mais (…) inacceptable pour la nôtre », sans compter que « l’histoire consiste en une seule accumulation de coïncidences ». Raison pour laquelle elle transpose l’intrigue en une émission de télé-réalité.

Les personnages se retrouvent dans un décor d’un kitsch appuyé, entourés de photographes et de cadreurs qui leur indiquent comment se mouvoir, sachant que Leïla suit un stage de yoga qui doit la dépouiller de tout désir. Oui, mais voilà, Nadir et Zurga sont là, qui réveillent les penchants qu’elle voulait oublier. Et c’est là que le spectacle, d’un propos et d’une agitation pénibles, devient tout à coup incompréhensible. Lotte de Beer, manifestement, ne sait plus comment s’en sortir.

Elle choisit prudemment de laisser les chanteurs enfin seuls, puis essaye de sauver la situation : avant le dernier acte, il faut ainsi supporter une vidéo en forme de micro-trottoir, où l’on demande à des citoyens de tout âge et de toute condition s’il faut condamner à mort les coupables (c’est-à-dire ceux qui s’aiment et se sont donc rebellés contre la règle du jeu) ou les gracier.

De bout en bout, les solistes ont l’air dubitatif devant ce propos ricanant et niais. Jouant le jeu sans trop y croire, ils ont la bonne idée de se concentrer sur leur prestation vocale. De ce côté, il n’y a rien à redire ; le baryton-basse britannique Michael Mofidian, contraint de passer une longue partie de la soirée un micro à la main, pour mimer l’animateur de l’émission, s’acquitte honnêtement des quelques répliques de Nourabad.

La soprano russe Kristina Mkhitaryan chante Leïla sans affectation, avec une prononciation impeccable. Plus déesse qu’amoureuse, elle bascule tout à coup dans la détresse, au fil de sa grande scène avec Zurga ; il suffit alors d’une phrase en voix de poitrine (« Zurga, je te maudis, je te hais »), pour que le personnage trouve soudain sa charge d’humanité.

Le baryton norvégien Audun Iversen chante également le français avec un naturel remarquable, même s’il a tendance à exprimer les passions de Zurga d’une manière un peu caricaturale. La mise en scène, il est vrai, ne l’aide guère, surtout lorsqu’elle pousse le poncif jusqu’à nous le montrer en direct, sur un écran, pendant « L’orage s’est calmé ».

Nadir a droit, lui aussi, à son gros plan, au moment de la romance « Je crois entendre encore ». Le Canadien Frédéric Antoun l’aborde avec une grande délicatesse, ménageant des aigus en voix mixte. Impeccable de candeur, il s’abstient de reprendre à la fin les mots « Charmant souvenir ! », imposés par une fausse tradition qui permet aux ténors de briller, à la faveur d’un contre-ut que Bizet n’a pas écrit. Il est, par ailleurs, tout aussi convaincant dans ses duos avec Leïla et Zurga.

Si l’on ajoute que le chef belge David Reiland dirige la partition, donnée dans son intégralité, avec conviction et finesse, on se dit que l’essentiel, c’est-à-dire la musique, est sauf.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO © MAGALI DOUGADOS

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