Opéra Comédie, 19 décembre
Cette nouvelle production de La Cenerentola, proposée par l’Opéra Orchestre National Montpellier, est, tout à la fois, brillante et insaisissable. Brillante, parce qu’Alicia Geugelin l’a traitée dans le registre de la comédie musicale et l’a presque entièrement chorégraphiée, faisant du finale du premier acte une explosion de feux d’artifice, mais qui cache un terrible tremblement de terre, assourdi par les applaudissements. Insaisissable, parce que, dans sa fluidité et son invention inépuisable, elle pétille comme du champagne, mais laisse le spectateur en quête de sens.
Si l’on s’en réfère aux intentions de la jeune metteuse en scène allemande, Angelina serait une de ces enfants narcissiques qui s’imaginent être le souffre-douleur de leur famille et rêvent de pouvoir. Mais lorsque son désir s’accomplit, il la laisse seule à jamais. La reine vieillie qui, dans une loge d’avant-scène, diadème en tête, drapée dans un immense manteau de cour doré, salue les spectateurs, tout en fredonnant sa petite chanson, c’est, bien sûr, l’ancienne Cenerentola. L’Ouverture va soudain la ranimer et la précipiter, pleine d’énergie, dans une robe blanche toute simple, sur le plateau, où elle va se lancer dans un véritable festival de roues et de gambades diverses et variées.
De tous les personnages du « conte », l’héroïne est la seule à ne pas être caricaturée. Ses sœurs, petites filles capricieuses, sont montées sur roulettes (patins et trottinette) ; Don Magnifico arrive dans son lit et se balade en robe de chambre ; quant à Dandini, il fait son entrée sur un vélo doré. D’un pouf mobile, sortiront tous les accessoires nécessaires aux différentes ambiances sur le plateau nu, au sol en miroir, tandis que descend des cintres un magnifique lustre, qui ne s’éclairera tout à fait que lors du bal.
Dans le rôle-titre, la mezzo canadienne Wallis Giunta fait preuve d’une belle longueur de voix, avec un grave profond. Si les aigus sont un peu tendus, une technique impeccable lui permet de superbes variations dans son rondo final. Le ténor australien Alasdair Kent paraît plus faible en Don Ramiro, avec une projection limitée qui enlève au personnage le brillant de son grand air, auquel il ajoute une longue cadence de son cru.
Si le Dandini d’Ilya Silchukou possède un baryton bien timbré et une vis comica efficace, il ne maîtrise absolument pas la vocalise, parlant plus qu’il ne chante dans son duo avec Don Magnifico. Il en va de même de Dominic Barberi, auquel échappe la longue tessiture d’Alidoro, avec une voix nasale et engorgée, dont seul l’extrême grave passe la rampe.
Au milieu de cette distribution très inégale, le Don Magnifico de Carlo Lepore est un petit miracle de style et de présence scénique, avec son émission naturelle, sa diction parfaite, son sens comique jamais appuyé et sa science du chant syllabique. Aux deux sœurs, on reconnaîtra un remarquable abattage, et à l’excellent chœur masculin, un talent théâtral incontestable, dans des ensembles agités particulièrement réussis.
À la tête d’un Orchestre National Montpellier Occitanie respectant l’effectif voulu par Rossini, le jeune chef suédois Magnus Fryklund délivre une lecture précise et raffinée, sans jamais sacrifier la dynamique, où brillent les vents sur la transparence des cordes, et porte à un succès sans réserve cette réjouissante production.
ALFRED CARON
PHOTO © MARC GINOT