Comptes rendus Falstaff pour la musique à Florence
Comptes rendus

Falstaff pour la musique à Florence

08/12/2021

Teatro del Maggio, 19 novembre

La salle immense, glaciale, du Teatro del Maggio semble à peine moins clairsemée que pour ces représentations à huis clos réservées, avant que les théâtres ne rouvrent enfin leurs portes, à une poignée de professionnels conviés à assister à quelque captation. Alors même que toutes les places étaient disponibles à la vente…

Faut-il s’inquiéter pour l’avenir de l’institution lyrique florentine, dont la dépendance envers les touristes, encore loin de déferler sur les rives de l’Arno, s’avère criante ? Ou se réjouir de l’enthousiasme, en vérité inversement proportionnel au taux de remplissage, manifesté par le public, au rideau final ?

Un accueil aussi chaleureux est-il, pour autant, mérité ? En 2011, Sven-Eric Bechtolf avait signé, déjà à l’invitation d’Alexander Pereira, à l’Opernhaus de Zurich, un premier Falstaff qui n’avait guère convaincu Éric Pousaz – et dont Jean Cabourg avait étrillé le DVD (voir O. M. n° 82 p. 81 de mars 2013). Le metteur en scène allemand ne fait guère mieux, dix ans plus tard.

S’il opérait alors une transposition assez vague au siècle dernier, il revient, cette fois, à l’époque élisabéthaine, quand le strict respect du contexte historique voudrait que l’intrigue se déroulât au début du XVe siècle – cela dit pour les obsédés de la lettre, à laquelle il se tient, par ailleurs, assez scrupuleusement. Est-ce là une forme d’hommage à Franco Zeffirelli (1923-2019), l’enfant du pays, dont le musée présente les dessins des productions successives, et assez immuables, de l’ouvrage, jusqu’à une ultime reprise à Rome, en 2010 ?

Constitués de lattes de bois, les décors de Julian Crouch, çà et là discrètement complétés par quelques projections vidéo, figurent fidèlement les différents lieux de l’action, bien que certains changements occasionnent de trop longues pauses. Quant aux costumes de Kevin Pollard, ils se conforment joliment, quoique sans excès de fantaisie, à cette esthétique censément shakespearienne. L’inconvénient est que personne n’a l’air suffisamment convaincu de la pertinence théâtrale de ce qui lui est demandé, pour que la comédie prenne. Et les spectateurs ne semblent pas s’amuser davantage…

Sans doute tous les yeux étaient-ils rivés sur la fosse, où officiait John Eliot Gardiner, qui revenait à Falstaff plus de vingt ans après l’avoir enregistré avec son Orchestre Révolutionnaire et Romantique – sur instruments d’époque, donc (Philips, 1998). Le chef britannique assurément prend son temps – parfois trop, peut-être. Non qu’il s’écoute diriger, mais pour le plaisir manifeste (sourire jusqu’aux oreilles !) de donner à entendre, jusque dans ses moindres détails et subtilités, une partition souvent menée tambour battant, au détriment des merveilles d’invention du dernier Verdi.

Les musiciens de l’Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino, qui auraient pu se méfier de ce « baroqueux » historique, débarqué de la perfide Albion pour leur révéler les arcanes d’un fleuron de leur patrimoine, se laissent d’autant plus volontiers séduire que Gardiner cisèle amoureusement le galbe de chaque contre-chant. Quelle fugue, enfin – d’ailleurs bissée –, à la fois transparente et électrisante d’alacrité !

La distribution, malheureusement, ne forme pas un ensemble aussi réjouissant. Parmi les comprimari se distingue, d’abord et avant tout, sinon seulement, le tonitruant Pistola de Gianluca Buratto. Avec son mezzo canalisé et percutant, Caterina Piva dominerait presque, Meg fine mouche, le quatuor féminin, si Sara Mingardo ne réitérait sa Quickly délestée des traditions instaurées, puis perpétuées – ou perpétrées, c’est selon – par des devancières illustres, dont la légende se borne généralement à de débordantes exhibitions de voce di petto. La contralto italienne sait abattre cette carte, nécessaire mais pas suffisante, avec autant de mesure que d’à-propos, et surtout insuffler à chaque mot un esprit délectable.

Comparée au désastre infligé par Carmen Giannattasio à Aix-en-Provence, en juillet dernier, Ailyn Pérez a l’avantage de ravissants filati dès que la tessiture s’élève, mais son Alice peine à se projeter dans le vif du dialogue. Aigu désespérément fixe et éteint, Francesca Boncompagni est poussée par Nannetta à la limite d’un minuscule filet de voix, tandis que la technique plus solide de Matthew Swensen ne compense pas le charme dont son Fenton reste dépourvu.

Une certaine correction, et le piètre état de la concurrence, ont pu faire passer Simone Piazzola pour un potentiel candidat au cercle restreint des barytons verdiens. Le temps des promesses ayant passé, ce Ford incolore et balourd indiffère.

S’il joue, d’évidence, dans une autre cour, Nicola Alaimo n’évite pas toujours les facilités du parlando – alors qu’il s’est montré ailleurs capable de chanter vraiment, et avec science. Mais il s’impose, surtout depuis que les carences de l’instrument ont fait précocement pâlir l’astre « hénaurme » d’Ambrogio Maestri, comme le Falstaff le plus intègre, le plus authentique, le plus complet du moment, Sir John à la hauteur, en somme, de Gardiner.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MAGGIO MUSICALE FIORENTINO/MICHELE MONASTA

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