1 CD Berlin Classics 0302017 BC
Dans la récente intégrale de Platée, parue chez Harmonia Mundi (voir O. M. n° 177 p. 77 de novembre 2021), la soprano trinidadienne Jeanine De Bique incarnait une Folie sexy, au chant excitant. Lui offrir un récital était une excellente idée, tant ses choix de répertoire (de Monteverdi à Rodgers et Hammerstein !) sont étendus, et ses performances vocales captivantes.
Haendel occupe une place de choix dans sa carrière. Mais, au lieu de lui dédier un récital entier, qui se serait noyé dans une concurrence pléthorique, le musicologue et chanteur Yannis François a concocté un programme original, avec trois premières discographiques mondiales. Il met, face à face, des portraits d’héroïnes dus au « Caro Sassone », mais aussi à certains de ses contemporains, des plus connus (Georg Philipp Telemann, Carl Heinrich Graun, Leonardo Vinci) aux moins célèbres aujourd’hui (Gennaro Manna, Riccardo Broschi).
Écrites entre 1704 (Germanicus de Telemann) et 1745 (Achille in Sciro de Manna), les œuvres ont en commun une écriture typiquement italienne, que ce soit dans la plastique de la ligne mélodique, la virtuosité, ou la profusion des ornements. On sait qu’à l’époque, les livrets circulaient d’un compositeur à un autre ; ici, seul le texte de « Mi restano le lagrime » est utilisé par deux fois. Broschi le confie à Morgana dans L’isola d’Alcina, en 1728 (et non 1735, comme l’indique la plaquette), puis Haendel le reprend pour le rôle-titre d’Alcina… en 1735.
Étendue, souple, franchement projetée, la voix de Jeanine De Bique a du charme et du piquant. Le timbre est brillant, l’aigu insolent, quoiqu’un peu mince dans son extrémité, et la technique, solide, permet à la soprano d’affronter des vocalises ébouriffantes. À la sûreté musicale, qui autorise des nuances subtiles, l’interprète joint l’intelligence du mot, qui lui fait trouver l’expression pertinente et se couler avec sensibilité dans les sentiments les plus divers.
Ce chant, qui résout le paradoxe d’être à la fois très libre et très contrôlé, convient à des personnages parfois complexes et parvient à leur prêter vie – au point qu’on en oublie la prise de son en studio (réalisée en 2021).
Virtuose et dramatique, le « Tra le procelle assorto » de Cleopatra, tiré du Cesare e Cleopatra de Graun, ouvre le disque avec brio. Lui fait écho la tendresse douloureuse du « Se pietà » de la même, dans Giulio Cesare de Haendel. On peut être séduit par l’Agrippina murée dans le souvenir de Telemann (Germanicus), par la Rodelinda en fureur de Graun, par l’élégance de la Deidamia de Manna (Achille in Sciro). Mais Haendel demeure le maître pour la profondeur des affects : le « Ritorna, oh caro » de sa Rodelinda est un exemple d’émotion suscitée par la beauté et la pureté de la mélodie.
À la tête d’un fringant Concerto Köln, Luca Quintavalle soutient ce florilège avec une efficacité qui n’exclut ni le lyrisme, ni la poésie. Il livre deux Ouvertures de Partenope, signées Haendel et Vinci, la seconde très théâtrale.
Si la négligence honteuse de l’éditeur (désordre dans le livret – qui devrait, semble-t-il, être corrigé –, erreur de date déjà mentionnée, pas une ligne traduite en français), comme l’obligation qu’il fait à l’auditeur de scanner un QR Code pour avoir accès aux textes des airs, méritent d’être sanctionnées, il ne faudrait pas que cet enregistrement en pâtisse. Indiscutablement, Jeanine De Bique est une valeur à suivre.
MICHEL PAROUTY