Comptes rendus Une rareté de Catalani à Wexford
Comptes rendus

Une rareté de Catalani à Wexford

18/11/2021

National Opera House, 22 octobre

L’édition 2020 du « Wexford Festival Opera » devait marquer les débuts comme directrice artistique de Rosetta Cucchi, mais la pandémie a, ici aussi, bouleversé tous les plans. La manifestation -irlandaise ayant été réduite à sa plus simple expression – quelques événements en ligne –, il restait possible de reprendre à l’identique, pour l’automne 2021, l’alléchant programme concocté par la réalisatrice italienne autour de Shakespeare (« Shakespeare in the Heart »).

À l’identique ? Compte tenu des incertitudes, il a été prudemment décidé de réduire quelque peu la voilure. Des trois opéras habituellement programmés, il a été convenu que Ein Wintermärchen de Karl Goldmark serait donné en version de concert, et que Le Songe d’une nuit d’été d’Ambroise Thomas serait allégé sous forme semi-scénique.

Le seul ouvrage proposé avec une mise en scène « complète » est donc celui qui n’a rien à voir avec Shakespeare : Edmea, quatrième opéra d’Alfredo Catalani (1854-1893), créé à la Scala de Milan, le 27 février 1886, sur un livret d’Antonio Ghislanzoni, d’après Les Danicheff, une pièce peu connue d’Alexandre Dumas fils et Pierre de Corvin.

Rien à voir… ou presque, car quelques moments saillants de l’action font écho à divers ouvrages shakespeariens. Amoureuse et aimée en retour du bel Oberto, fils du Comte de Leitmeritz, qui désapprouve cette liaison, Edmea, une jeune orpheline, est mariée de force à Ulmo, un vassal du Comte. Désespérée, elle se jette dans l’Elbe, mais Ulmo, très épris de son épouse, plonge pour la sauver.

À l’acte II, lors d’une représentation donnée au château par le bouffon Fritz et sa troupe, Oberto découvre qu’Edmea, qu’il n’a cessé de pleurer, est vivante. Hélas, elle a sombré dans la folie et ne le reconnaît pas. Au III, enfin, Edmea retrouve la mémoire et son bien-aimé, mais ne peut l’épouser, car elle est toujours la femme d’Ulmo. Oberto est prêt à tuer son rival, mais ce dernier, se rendant compte qu’Edmea ne l’aimera jamais, préfère se suicider. Son corps est encore chaud, au moment où le Comte, saisi d’un remords un peu tardif, survient pour annoncer qu’il a obtenu l’annulation du mariage.

Construction dramatique efficace, sens aigu de la mélodie, ensembles haletants (le finale du II, notamment) : on comprend le succès remporté à l’époque par l’ouvrage quand, successivement, Franco Faccio, puis un jeune chef de 19 ans, nommé Arturo Toscanini, en assurèrent la direction musicale. On admet difficilement l’oubli injuste dans lequel est tombée Edmea, réapparue seulement à Turin, en 1910, à Modène, en 1914, puis à Lucques, en 1989 (avec, à la clé, l’unique enregistrement disponible, paru chez Bongiovanni).

On peut espérer une publication en DVD de la production de Wexford, filmée et diffusée par le site Arte.tv, car son excellence permet de réhabiliter l’œuvre. Francesco Cilluffo traite Edmea avec le même soin qu’une « grande » partition. Nonobstant un orchestre du Festival réduit – distanciation oblige – à vingt-six musiciens (cinq premiers violons et le reste à l’envi, un bois par pupitre…), le chef italien réussit à faire sonner brillamment la musique de Catalani, y compris dans les quelques passages purement instrumentaux.

Déjà remarquée, à Wexford, en Katiusha dans Risurrezione de Franco Alfano, la soprano française Anne Sophie Duprels incarne une très convaincante Edmea. Le grave, souvent sollicité, est rond, et bien projeté ; l’aigu est puissant, même s’il est affecté d’un vibrato un peu large ; et, si le registre central est parfois moins audible, l’ensemble reste de belle tenue, avec un sens théâtral consommé.

En Oberto, on découvre le ténor italien Luciano Ganci, voix tout à la fois puissante et soyeuse, tandis que le baryton coréen Leon Kim se révèle excellent dans le rôle de l’infortuné Ulmo. Si Ivan Shcherbatykh s’avère un acteur peu doué, et même franchement gauche, c’est une bonne basse russe qui sied au personnage du Comte. Parmi les autres chanteurs, issus du programme de tutorat « Wexford Factory », on salue l’excellent Fritz du ténor irlandais Conor Prendiville.

La réussite de la soirée tient, également, à l’intelligence subtile de la mise en scène de Julia Burbach, idéalement servie par les décors et costumes de Cécile Trémolières, évoquant, plus d’une fois, les années 1950. Au I et au III, le château se décline sur deux niveaux, celui du bas étant l’exacte copie inversée de celui du haut, qui représente le fond du fleuve, d’où la teinte verdâtre.

La démarche n’est pas seulement esthétique : ce niveau bas est aussi, et surtout, le niveau de l’inconscient et des désirs véritables, où Edmea vit la vie à laquelle elle aspire. Coup de chapeau, donc, à la réalisatrice allemande Julia Burbach qui réussit non seulement à donner une substance aux personnages, mais aussi à individualiser les choristes, jusqu’à en faire de véritables protagonistes.

NICOLAS BLANMONT

PHOTO © WEXFORD FESTIVAL OPERA/CLIVE BARDA ARENAPAL

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