3 CD Prima Classic PRIMA 010
Disons-le d’emblée : cette intégrale d’Il pirata, enregistrée en studio, en août et septembre 2020, surclasse globalement toutes celles qui l’ont précédée. Ce qui ne signifie pas qu’elle est exempte de défauts.
L’orchestre et les chœurs du Teatro Massimo « Bellini » de Catane, d’abord, ne sont pas les meilleurs du monde – ni même d’Italie. Ils remplissent dignement leur office, sans plus, au prix d’une certaine lourdeur. Les comprimari, ensuite, sont inégaux, avec un bon Itulbo, mais un Goffredo excessivement bougon. Surtout, Franco Vassallo s’inscrit dans la mauvaise tradition des Ernesto qui, pour faire « méchant », tendent à aboyer et/ou vociférer.
Par rapport à sa très médiocre prestation genevoise, en 2019, aux côtés de Roberta Mantegna et Michael Spyres, le baryton italien paraît, certes, plus surveillé : doubles et triples croches sont en place, cette fois, et on note un effort inhabituel porté aux nuances. Mais, par-delà l’incontestable arrogance des moyens, le timbre conserve quelque chose de trivial et les cabalettes glissent vite vers le débraillé.
Dès lors, fallait-il l’inviter ? Pourquoi Marina Rebeka, productrice de l’enregistrement avec Edgardo Vertanessian, n’a-t-elle pas refait appel, après leur intégrale de La traviata, à George Petean, l’excellent Ernesto de Madrid, en 2019 ? Mystère. En l’état, le meilleur titulaire au disque reste, et de loin, Ludovic Tézier, dans l’intégrale Opera Rara publiée en 2012, par ailleurs décevante.
Dommage car, s’agissant des deux rôles principaux, on évolue sur les cimes. Nous avions beaucoup aimé Javier Camarena, lors de ses débuts en Gualtiero, au Teatro Real (voir O. M. n° 157 p. 41 de janvier 2020). Le studio donne au ténor mexicain la puissance et l’endurance qui lui faisaient légèrement défaut, sans rien lui retirer de ses qualités.
Le charme du timbre, la précision de l’émission, la facilité de l’aigu (quel contre-ré !), la beauté du legato, la science du clair-obscur, la caresse et l’émotion du phrasé sont sans équivalents dans la discographie. Et puis, quel punch dans les cabalettes !
Marina Rebeka fait aussi bien, voire encore mieux, prenant le dessus sur toutes ses devancières en studio, Montserrat Caballé comprise. Dès son « Sorgete » liminaire, on est frappé par la formidable autorité de ses accents, par ce mélange de force et de fragilité, de jeunesse et de féminité, qui constitue l’essence même d’Imogene. La voix est superbe, mais la soprano lettone ne s’abandonne jamais au culte du beau son, osant même quelques angles aigus, pour mieux faire sentir le déséquilibre de l’héroïne.
On saluera la précision des ornements dans la périlleuse cabalette de sa scène d’entrée, le travail exemplaire conduit sur le texte dans les longs récitatifs accompagnés, ainsi que la « défonce » hallucinante dont l’interprète fait preuve dans le « Oh, sole ! ti vela » conclusif, qu’elle achève sur un glorieux contre-ut. Du très, très grand art, et la confirmation que Marina Rebeka compte, désormais, parmi les plus éminentes belcantistes des soixante dernières années.
Nous nous garderons d’oublier Fabrizio Maria Carminati, qui sait créer un climat et accompagner les chanteurs, comme nous l’avions constaté quand il avait dirigé Il pirata à Marseille, en 2009. À juste titre, le chef italien projette le premier chef-d’œuvre de Bellini dans un romantisme plus tardif que 1827, celui d’Il corsaro de Verdi (1848), par exemple, pour rester dans les histoires de pirates.
Un chef compétent et convaincu, les meilleurs Gualtiero et Imogene de la discographie de studio, une édition archi-complète (aucune reprise, aucune broderie ne manque), comprenant même les trois minutes du finale original, une superbe prise de son, un texte de présentation passionnant (en italien et anglais seulement)… Vous l’avez compris : si vous voulez écouter Il pirata dans les meilleures conditions possibles, c’est ce coffret que vous devez acquérir !
RICHARD MARTET