Comptes rendus Un nouveau Rigoletto pour Londres
Comptes rendus

Un nouveau Rigoletto pour Londres

14/10/2021

Royal Opera House, Covent Garden, 13 septembre

Depuis sa nomination au poste de directeur pour l’opéra du Covent Garden, en 2017, Oliver Mears ne s’est guère fait remarquer en tant que metteur en scène, contrairement à ce qui s’était passé dans ses précédentes fonctions de directeur artistique d’Opera Northern Ireland (ONI), où il signait la plupart des productions.

À Belfast, ses spectacles témoignaient d’une ingéniosité certaine dans la manière de faire le maximum avec peu de moyens, aussi bien dans la grande forme (Salome, Der fliegende Holländer) que dans la petite (The Turn of the Screw). Talent confirmé par ses réalisations ultérieures au Welsh National Opera et au Scottish Opera, au point de susciter l’inquiétude de certains mécènes du Covent Garden, effrayés à l’idée que cette conception spartiate de la mise en scène lyrique ne s’impose dans les ors et la pourpre de la salle du Royal Opera House.

Craintes vaines, à en juger par la nouvelle production de Rigoletto qui vient d’ouvrir la saison 2021-2022 de l’institution londonienne. Car si les décors de Simon Lima Holdsworth se résument, pour l’essentiel, à une boîte noire, ils ne manquent pas d’évoquer les fastes de la cour de Mantoue, grâce à l’introduction d’immenses reproductions de deux célèbres toiles du Titien : la Vénus d’Urbin (Florence, galerie des Offices) et L’Enlèvement d’Europe (Boston, musée Isabella Stewart Gardner). Pour être superficiel – elles n’engendrent aucune dynamique théâtrale particulière, du moins pendant les deux premiers actes –, leur impact n’en est pas moins réel.

Au lever du rideau, après un Prélude superbement fébrile, qui fait d’emblée monter la tension (merci à Antonio Pappano !), c’est un tableau vivant que l’on découvre : un pastiche du Martyre de saint Matthieu du Caravage (Rome, église Saint-Louis-des-Français), avec une jeune fille de l’âge de Gilda à la place de l’apôtre. À lui seul, il résume le statisme général de la mise en scène, notamment dans la gestion des chœurs, jusqu’à l’irruption de Monterone.

Le Duc crève alors les yeux du père outragé (comme dans King Lear, pièce que Verdi rêva toute sa vie de porter à l’opéra), geste censé choquer le public, qui tombe malheureusement à plat dans le contexte très guindé de cette fête insipide. Faut-il voir dans cette trouvaille une référence au théâtre de Calixto Bieito, qu’Oliver Mears admirait au temps de ses années à Belfast, au point d’importer en Irlande du Nord sa production de Turandot ? C’est, en tout cas, la seule qui émerge d’une narration par ailleurs bien sage, pour ne pas dire inoffensive, de l’action.

Rigoletto, l’un des opéras les plus forts de Verdi sur le plan dramatique, n’appelle-t-il pas davantage ? La question reste ouverte mais, en l’état, le metteur en scène aura toute latitude de remettre l’ouvrage sur le métier lors des futures reprises (la première est déjà programmée, en février-mars 2022, avec Javier Camarena, Luca Salsi et Rosa Feola en tête d’affiche). Sa direction d’acteurs à l’acte III, avec seulement quatre chanteurs en action, laisse, d’ores et déjà, espérer des améliorations.

Au bilan, on peut regretter que, pour ses premiers pas de metteur en scène au Covent Garden, Oliver Mears se soit contenté d’« élargir », moyennant de nouveaux costumes d’Ilona Karas (dans un style moderne et chic, Renaissance relue au prisme du XXIe siècle), le Rigoletto cosigné avec Simon Lima Holdsworth, en 2016, au Nevill Holt Opera, dans le Leicestershire. Mais l’honnêteté impose de préciser qu’il aurait dû débuter, l’an dernier, avec une nouvelle production de A Quiet Place de Bernstein, dans le petit Linbury Theatre. Et d’insister sur le fait que tous les chanteurs appelés à se produire dans ce spectacle disposeront, au moins, d’un cadre visuel séduisant.

Musicalement, les plus grandes satisfactions viennent d’Antonio Pappano, qui réussit à maintenir jusqu’au bout la tension si bien installée dans le Prélude. Ce qui ne retire rien aux mérites de Liparit Avetisyan, Duc de Mantoue élégant et stylé – même sans le côté fanfaron indispensable dans « La donna è mobile » – et de Lisette Oropesa, Gilda au chant plus ou moins immaculé, mais aux staccati impeccables dans « Caro nome » et à la projection suffisante pour soutenir les paroxysmes de l’acte III.

En cette soirée de première, le puissant Rigoletto de Carlos Alvarez accuse quelques signes de fatigue vers la fin. Il n’en demeure pas moins l’un des rares authentiques barytons verdiens de notre époque. Le sombre Sparafucile de Brindley Sherratt et la Maddalena sexy de Ramona Zaharia complètent efficacement le plateau, d’où l’on détachera encore le jeune Dominic Sedgwick. Cet ancien élève du programme de formation du Covent Garden (« Jette Parker Young Artists Programme ») se fait particulièrement remarquer en Marullo lyrique et plein de vie.

HUGH CANNING

© ELLIE KURTTZ

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