Grand Théâtre, 1er octobre
Très rarement données – une injustice flagrante ! –, La Princesse jaune et Djamileh ont bien des points communs. Créées à l’Opéra-Comique, en 1872, et d’une durée sensiblement équivalente, les deux œuvres furent, à leur époque, considérées comme « wagnériennes ». Les sujets traités par le prolifique Louis Gallet sont d’inspiration orientaliste (extrême pour Camille Saint-Saëns, proche pour Georges Bizet), les vers libres obligeant les compositeurs à abandonner les carrures musicales conventionnelles.
Ceci posé, si les deux musiciens rompent avec la tradition de l’« opéra-comique » d’Ambroise Thomas ou de Victor Massé, leurs personnalités sont aussi attachantes que différentes. Saint-Saëns se montre plus classique, plus soucieux d’élégance et d’équilibre, Bizet plus dramatique et novateur. Quels que soient les charmes de La Princesse jaune, récemment énumérés par Pierre Cadars, à l’occasion de la sortie de la première édition discographique officielle (voir O. M. n° 175 p. 80 de septembre 2021), Djamileh est une œuvre de plus vaste envergure.
Cette coproduction entre le Palazzetto Bru Zane, l’Opéra de Tours, Angers Nantes Opéra, l’Atelier Lyrique de Tourcoing et l’Opéra de Toulon marque les débuts en fosse de Laurent Campellone, dans la maison dont il est devenu directeur général, en 2020. La mise en scène de Géraldine Martineau, de la Comédie-Française, a le mérite du classicisme et de la subtilité. Classique, car elle ne raconte pas autre chose que la trame narrative des deux opéras, en respectant fidèlement les didascalies de Gallet ; subtile, car elle présente, en parallèle, quelques écarts intéressants.
Dans les décors de Salma Bordes et les costumes de Léa Perron, l’inclusion d’un mobilier moderne international peut être interprétée comme un clin d’œil contemporain, qui montre l’impossibilité d’un orientalisme absolu, aujourd’hui comme au XIXe siècle. Les esclaves de Djamileh ne sont pas couvertes d’une burqa, mais vêtues de tenues de haute couture et d’un chapeau très élégant qui dérobe leurs visages. De même, le bref épisode chorégraphié et dansé par Sonia Duchesne ne donne pas dans le style exotique.
Les deux interprètes de La Princesse jaune se montrent très à l’aise. En Léna, Jenny Daviet, au timbre délicieusement acidulé et à la diction précise, peut à l’occasion pousser, sans effort, son soprano léger jusqu’à une expression plus puissante. Sahy Ratia, lui aussi excellent diseur, fait preuve de charme et d’élégance en Kornélis.
On le retrouve, dans Djamileh, en Haroun, rôle aux exigences beaucoup plus considérables. Le ténor malgache les affronte vaillamment, mais il expose trop ses limites actuelles, surtout confronté à Aude Extrémo, voix immense, presque surdimensionnée pour l’héroïne, dont elle tire cependant un extraordinaire potentiel dramatique.
Avec son timbre sombre, son grave de violoncelle et son aigu solidement bâti, la mezzo française confère à Djamileh une brûlante intensité psychologique, dans la sensualité comme la douleur ou l’exultation.
Splendiano, enfin, convient à merveille à Philippe-Nicolas Martin, excellent interprète ancré dans cette longue lignée de barytons clairs, mais relativement puissants, qui servent, depuis le XIXe siècle, le répertoire de la Salle Favart.
La rencontre entre Laurent Campellone, le Chœur de l’Opéra de Tours et l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours fait des étincelles. Quelle qualité dans les soli instrumentaux, quel équilibre entre fosse et plateau et, surtout, quelle intensité dramatique !
JACQUES BONNAURE
© MARIE PÉTRY