Théâtre Royal, 22 septembre
En 2013, La forza del destino était offerte par l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dans une production venue de Slovénie (voir O. M. n° 85 p. 46 de juin). C’était l’un des derniers projets du regretté Stefano Mazzonis di Pralafera que d’en donner une présentation originale, menée à aboutissement par Gianni Santucci, qui a été plusieurs fois son assistant.
Dans une note d’intention sympathique, mais un peu désarmante, celui-ci fait savoir clairement qu’il n’y aura pas vraiment de concept, mais rien que la littéralité du chaotique livret. Et pas non plus de direction d’acteurs : « J’ai essayé de ne pas rendre le travail des artistes ennuyeux et de ne pas les surcharger de mouvements inutiles ou prétentieux. J’ai préféré leur laisser une grande liberté dans l’interprétation de leur rôle. »
Ce qui tranche singulièrement dans le contexte d’aujourd’hui, et ne manque pas d’inquiéter, dès un premier acte où chacun va, en effet, de son côté, avec plus ou moins de bonheur, avant de s’avérer plus frustrant encore dans les scènes de foule, où une mise en place des plus traditionnelles nous renverrait presque aux années 1950. Et pourtant, des composantes majeures sont là, qui produisent pleinement leur effet.
Moins heureux quand il s’agit d’innover (la pauvre place de village du II…), Gary McCann élabore de minutieuses reconstitutions archéologiques, pour le salon du I, par exemple, où ne manque pas un rivet d’armure, et, plus encore, les fastueuses façades d’un couvent espagnol, bellement éclairées en lumière rasante, pour le II et le IV, ou encore l’hôpital militaire du III, pour terminer par un beau paysage romantique.
Un plateau de haut niveau s’active devant ce simple fond décoratif. En très bonne voix, Maria José Siri tient magistralement l’ensemble en Leonora. D’une énergie irrépressible et d’un engagement souvent émouvant, passionnée et vibrante pour « Madre, pietosa Vergine », la largeur et la richesse du chaleureux médium assurant une base confortable à des aigus d’acier, capables aussi des piani les plus raffinés, jusqu’à un « Pace, pace, mio Dio ! » qui conclut superbement, en passant par l’ineffable « La Vergine degli Angeli », qui tient toutes ses promesses.
Marcelo Alvarez, qu’on avait vu briller en Don Alvaro, à l’Opéra Bastille, en 2012, justifie le métissage d’indianité du personnage par un jeu explosif, parfois gauche et désordonné, mais d’une vie intense, et des envolées éclatantes du beau timbre, clair et coloré, capable de vocalisation irréprochable aussi.
Michele Pertusi incarne, sans surprise, un Padre Guardiano rayonnant d’intelligence et de bonté, les limites actuelles de l’aigu n’étant guère perceptibles. Et, pour les moins célèbres, on se réjouit de la Preziosilla éclatante de la très séductrice Nino Surguladze, comme du Fra Melitone d’Enrico Marabelli, jamais caricatural, mais tout en finesses malines, de jeu comme de chant.
Discutable, en revanche, le Don Carlo monolithique de Simone Piazzola, qui déroule, impeccablement certes, un chant pourtant trop monocorde, ou forçant inconsidérément pour « Urna fatale », géant massif et renfrogné, au regard obstinément rivé au sol.
Avec les beaux Chœurs menés par Denis Segond et un Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège irréprochable, Renato Palumbo (remplaçant Paolo Arrivabeni, souffrant) ne cesse d’enchanter par sa constante et très efficace attention au plateau.
Malgré les évidentes limites, on salue une réussite paradoxale, qui fait le bonheur du public, singulière dans le paysage actuel, et qui remettrait presque en cause nos critères habituels de jugement.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE