Staatsoper, 16 septembre
Spectateurs – dont le pass sanitaire a été dûment contrôlé à l’entrée du théâtre – disposés en quinconce, chœurs répartis entre le plateau et le premier balcon, la prudence est encore de mise au Staatsoper de Hambourg. Dans la fosse, en revanche, l’orchestre joue au grand complet, à visage découvert, sous la baguette de son directeur musical, Kent Nagano.
Familier, sinon spécialiste d’une partition dont il enregistrait, voici déjà un quart de siècle, chez Erato, la version officielle la plus complète par rapport au matériel foisonnant laissé inachevé par Offenbach à sa mort (depuis complété par de nouvelles découvertes, intégrées à cette production), le chef américain ne dispose pas ici de forces musicales aussi idiomatiques que celles de l’Opéra de Lyon. Question d’articulation, de langue et de couleurs, tant instrumentales que vocales.
La mise en scène de Daniele Finzi Pasca n’est, il est vrai, guère inspirante à cet égard. Le choix de l’homme de spectacle suisse, dont il convient, sans doute, de ne pas réduire l’activité à la conception de cérémonies olympiques, ou à ses collaborations avec le Cirque du Soleil – n’a-t-il pas monté, avec un succès retentissant, Einstein on the Beach, en ouverture du mandat d’Aviel Cahn au Grand Théâtre de Genève ? –, apparaît même assez vite comme une fausse bonne idée.
Son invention se confond, en effet, avec celle de son scénographe Hugo Gargiulo. Et partant, se résume peu ou prou à la boîte de musique géante qui abrite Olympia, au cabinet entomologique où Antonia, métamorphosée en papillon prêt à rejoindre ses semblables épinglés sous verre, est retenue prisonnière, et à une Sérénissime en forme de carrousel, empruntant à la place Saint-Marc ses chevaux, ses lions, et le cadran de la Tour de l’Horloge – sans oublier, malheureux choristes victimes du ridicule de leur ridicule accoutrement, une cohorte de pigeons.
C’est, en somme, d’un kitsch achevé, sans avoir l’excuse de l’exubérance. Quant à dérouler un fil narratif… En montrant, à plusieurs reprises, Hoffmann et Nicklausse attablés devant une bière, Daniele Finzi Pasca cherche à signifier que les épisodes de la vie amoureuse du poète ne sont que le fruit de son imagination. Mais aucune intention n’est assez poussée pour que la fantasmagorie prenne le pas sur une illustration d’une constante banalité. Il faudrait, au moins, que les personnages soient plus que des coquilles vides – à commencer par le protagoniste, qui entre et sort presque mécaniquement au gré des besoins du livret, pour se retrouver abandonné bras ballants et manches retroussées, l’air bonhomme malgré son désœuvrement.
Benjamin Bernheim n’est pas assez naturellement acteur pour porter seul jusqu’à l’incarnation les affres et névroses d’Hoffmann, dont il aura d’autres occasions d’approfondir un portrait encore à l’état d’esquisse. Sur le strict plan vocal, en revanche, tout y est déjà : l’endurance, la fièvre, l’éclat – si ce n’est dans l’aigu qui, sur les voyelles ouvertes, tend à rompre la continuité d’une émission très homogène, gagnant en volume, spectaculaire, ce qu’il perd en brillant et en concentration.
D’une facilité déconcertante sur toute l’étendue d’un registre très sopranisant, Angela Brower allie idéalement, en Muse/Nicklausse, tension et frémissement de la ligne.
Face au défi des quatre héroïnes, qu’elle a déjà relevé à plusieurs reprises, Olga Peretyatko révèle davantage d’efficacité que d’abattage. Olympia à court d’étincelle virtuose, elle ne peut se départir, en Antonia, d’une certaine réserve, due à la relative étroitesse des moyens. C’est finalement Giulietta, rendue à sa tessiture originelle, qui permet à l’instrument de s’épanouir pleinement, même si elle n’ose pas la version ornée jusqu’au délire de « L’amour lui dit : la belle ».
Méforme passagère ou inadéquation au quadruple emploi diabolique, Luca Pisaroni, fort encombré par des mains postiches à la Nosferatu, ne tente pas, probité oblige, d’escamoter un registre supérieur qui, manifestement, ne répond plus.
Remplaçant Gideon Pope au pied levé, Andrew Dickinson fait feu de tout bois dans ses quatre « valets », grâce à une agilité physique et une projection décomplexée qui font, hélas trop fugacement, passer l’esprit de vie sur une production que le plaisir retrouvé du spectacle vivant ne suffit pas, loin s’en faut, à graver dans la mémoire.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS