Felsenreitschule, 26 août
Le Festival de Salzbourg a régulièrement rendu hommage à Luigi Nono (1924-1990), comme le rappelle une très instructive exposition concomitante, accompagnée d’un livre. En 2009, la production de Katie Mitchell, déjà dans le Manège des rochers (Felsenreitschule), avec également Ingo Metzmacher comme chef, avait tenu la gageure de faire brillamment passer à la scène Al gran sole carico d’amore, sa seconde « azione scenica », et autre défi résolu aux critères de l’opéra classique (voir O. M. n° 44 p. 60 d’octobre 2009).
Jan Lauwers a pris un parti tout différent pour Intolleranza 1960 (Venise, 1961), qui appartient encore à la période la plus durement « militante » de Nono, inscrit au Parti communiste depuis 1952, et à la plus radicale pour ses choix artistiques, sous le patronage direct du Moses und Aron d’Arnold Schoenberg (son beau-père depuis 1955), à qui l’ouvrage est dédié. La précision de la date dans le titre suffit à indiquer le fort ancrage d’un dogmatisme sans nuances dans le contexte de la guerre d’Algérie.
Recherchant la portée universelle et intemporelle de l’œuvre, Jan Lauwers n’a pas cherché à la souligner. Comme il n’a pas non plus cherché à utiliser les ressources propres du Manège des rochers, murant au contraire les arcades (sinon quelques-unes à la base) pour un mur de fond uni, qui sert à la projection des surtitres et à un petit nombre de vidéos. Donc reste le grand plateau nu, sans aucun élément de décor, la masse des percussions étant située côté jardin, et d’autres sur une passerelle côté cour.
Pas de caractérisation, non plus, chez les quelque deux cents acteurs, mêlant danseurs et choristes, ou confondant bourreaux et victimes, dans les vingt longues et pénibles minutes de la scène de torture. L’« intolérance » se veut ici à l’état pur, pour ainsi dire. Pourtant, Jan Lauwers rajoute une couche de didactisme, en introduisant le personnage d’un « poète aveugle », placé sur une petite estrade de côté, où il reste parcouru, pendant toute la première partie, d’un trémoussement continu assez difficilement supportable, et à qui il a confié un long texte parlé (en anglais), au début de la seconde.
Dans ce qui apparaît souvent comme un tumultueux désordre, heureusement ponctué par les danses tournoyantes, d’une extraordinaire virtuosité, les bons moments ne manquent pourtant pas, en particulier le final, où la carrière malheureuse du protagoniste se termine par l’apocalypse d’une submersion générale : course effrénée alors de tous les participants autour du plateau, avant leur alignement dans l’immobilité, main dans la main, face à la salle et derrière l’amoncellement de corps foudroyés.
Si le bilan scénique reste mitigé, on salue, en revanche, une réussite musicale superlative. Difficile de bien percevoir les sublimes cordes de l’orchestre (Wiener Philharmoniker), largement écrasées par des cuivres et percussions déchaînés de la plus brillante façon. On est confondu, de nouveau, par l’éblouissante prestation du chœur (Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor), placé cette fois sous la direction d’Huw Rhys James, notamment pour les plus délicates évocations de la polyphonie vénitienne, où le compositeur est à son meilleur, et pour son aptitude à s’engager physiquement au milieu des époustouflants danseurs (Salzburg Experimental Academy of Dance).
Si Anna Maria Chiuri reste en retrait pour la voix, comme pour la présence scénique, on est subjugué par la performance sans faille du jeune et beau Sean Panikkar, au registre de ténor sans limite et au timbre enchanteur, et non moins par la très étonnante Sarah Maria Sun, aux suraigus impalpables d’une impeccable pureté et à l’engagement ébouriffant dans les danses les plus exigeantes.
Ingo Metzmacher est, une fois de plus, souverain dans l’impeccable maîtrise de l’ensemble qui, malgré les limites qu’on a dites, marque assurément une date notable pour l’œuvre.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © SALZBURGER FESTSPIELE/MAARTEN VANDEN ABEELE