Comptes rendus Don Giovanni bien accueilli à Salzbourg
Comptes rendus

Don Giovanni bien accueilli à Salzbourg

06/09/2021

Grosses Festspielhaus, 4 août

Avec six opéras donnés en scène, devant des salles combles (jauge pleine, pass sanitaire et port du masque obligatoires), retour à la normale pour l’été salzbourgeois, incluant deux reprises à l’identique, ou presque, de l’édition précédente : Cosi fan tutte et Elektra (voir O. M. n° 165 p. 56 & 58 d’octobre 2020).

Initialement prévu pour le centenaire de 2020, ce Don Giovanni, donné en ouverture du Festival 2021, faisait figure d’événement. Prologue muet, où, dans le blanc immaculé d’une splendide architecture d’église classique, des ouvriers enlèvent statues, tableaux et tout apparat d’autel : ce sera un monde sans Dieu, où le blanc connote un néant dans lequel Don Giovanni, le Dissolu, finira par se dissoudre lui-même.

L’acte I est éblouissant, dès les scènes initiales : voiture du héros tombant d’un bloc des cintres, suivie de la chaise roulante du Commandeur ; chute d’un piano à queue, qui vole en éclats. Mais, surtout, une abondance d’inventions poétiques qui touchent juste, dont un « Là ci darem la mano » d’anthologie donne le modèle : matelas posé au centre du vaste plateau, jeune arbuste plié et attaché au sol, à côté de lui, par Don Giovanni, métaphore explicite de la conquête de Zerlina, dédoublée par un nu couché qui lui tourne le dos, puis lente descente, à mi-hauteur, d’une superbe calèche, dont les roues se mettent à tourner pour concrétiser l’allègre « Andiam, andiam » terminal…

Le tout baigne dans des flots de lumières diaphanes et d’ineffables suavités, pour lesquelles le rideau de tulle d’avant-scène joue un rôle déterminant, notamment lors du lent ballet de figures blanches qui, comme dans un rêve, accompagne idéalement le trio « des masques », au I. Romeo Castellucci, maître de la métaphore et magicien du tulle, donc.

L’acte II marque malheureusement une chute sensible, le maître d’œuvre se privant du support de son architecture par les larges voiles, un peu trop flottants, qui recouvrent toute la boîte scénique, pour miser sur les groupements savants, magistralement mis en place par la chorégraphe Cindy Van Acker, de plus d’une centaine de figurantes salzbourgeoises, qui sont comme autant d’apparitions fantomatiques des innombrables conquêtes du héros, venant maintenant l’assiéger. Celui-ci s’efface du coup progressivement pour finir dans une totale nudité, et les convulsions dans un enduit de chaux blanche, avant une scène finale où les protagonistes sont assimilés aux célèbres corps pétrifiés de Pompéi.

Ainsi, Don Giovanni ne laisse derrière lui qu’un monde mort… Il n’y aura pas eu de festin, mais seulement le bruit trop sonore des assiettes brisées par lui, comme il n’y aura pas eu de statue du Commandeur, et un cimetière concrétisé seulement par les figures féminines, voilées de noir, qui l’avaient escorté à sa première entrée : image forte et inventive, mais un peu trop longtemps prolongée. Et qui ne fait que renchérir sur l’ascétisme des scènes précédentes, réduisant au minimum les ressorts dramatiques.

Teodor Currentzis, lui, ne cède rien à son parti initial d’attaques impitoyablement mordantes et acérées, mais sans ces maniérismes qui pouvaient désorienter naguère. Ses forces du MusicAeterna (chœurs et orchestre) subjuguent une nouvelle fois.

Ce sont les premiers triomphateurs de la soirée, avant un plateau de très belle venue. Il est dominé par l’éblouissante Donna Anna de Nadezhda Pavlova, dont les débuts in loco marquent la consécration : d’un engagement irrépressible, et stupéfiante dans la virtuosité et les suraigus vertigineux de sa colorature. De timbre moins exceptionnel, l’ardente Donna Elvira de Federica Lombardi ne démérite pas, la jolie Zerlina d’Anna Lucia Richter restant légèrement en retrait pour les aigus un peu fragiles de « Batti, batti, o bel Masetto ».

Côté masculin, Michael Spyres, dans une forme superlative, paraît au sommet de son très éclectique répertoire pour un Don Ottavio de riche couleur et d’un phrasé toujours exemplaire, avec de superbes variations dans les reprises. Largement de quoi faire oublier une charge un peu lourde en anti-héros, ridiculisé par ses costumes, ou l’accompagnement de plaisants caniches.

Pour n’être pas le plus célèbre des Don Giovanni actuels, Davide Luciano assume brillamment un personnage psychologiquement peu fouillé, plutôt centré sur les demi-teintes, et l’acteur triomphe avec mérite des très ingrates scènes finales. Il est excellemment appuyé par le Leporello de Vito Priante, posé en double exact de lui – selon une formule déjà vue. Le vigoureux Masetto de David Steffens et le solide Commandeur de Mika Kares complètent plus qu’honorablement.

Bien accueillie sur place, la production, dans son ensemble, n’égale pas la Salome précédente de Romeo Castellucci, à Salzbourg. Mais avec l’enregistrement, réalisé lors de la première, le 26 juillet, et qui paraîtra en DVD, on jugera de la possibilité d’en rendre compte à l’écran.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © RUTH WALZ

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