Arena, 31 juillet
Cette année, à l’« Arena Opera Festival » de Vérone, on ne parle plus de metteur en scène, mais simplement de « directeur des installations scéniques » (« direttore allestimenti scenici »). Les productions sont désormais signées « Fondazione Arena di Verona ». À peine si apparaît discrètement, en petits caractères sur le programme, le nom d’un maître d’œuvre qu’il faut considérer comme un régisseur à l’ancienne, chargé de réaliser les attendus du livret, sans y ajouter sa propre vision.
De fait, la nouvelle production du diptyque Cavalleria rusticana/Pagliacci, à l’instar de toutes celles de cette édition 2021, est placée sous le signe de la collaboration avec les grandes institutions culturelles italiennes. Celles-ci ont fourni la matière de leurs trésors iconographiques pour créer la scénographie, limitée à une approche purement illustrative. Pour Cavalleria rusticana, la Bibliothèque Vaticane a été sollicitée pour l’aspect religieux, et la Vallée des Temples d’Agrigente pour l’évocation des paysages siciliens.
Le résultat se révèle assez spectaculaire, avec l’utilisation de splendides photographies d’époque, projetées sur un grand écran, en fond de scène, créant un décor plus réel que nature, que renforce le choix de costumes fin XIXe, eux aussi en noir et blanc.
Pour Pagliacci, c’est le futur Musée « Federico Fellini » de Rimini et le Musée du Cinéma de Turin qui ont fourni la matière visuelle : des dessins et photos de plateau du cinéaste, renvoyant évidemment au petit monde du cirque. Les nombreux figurants – qui remplacent sur le plateau les chœurs, cantonnés sur les gradins – sont autant de personnages sortis de l’univers fellinien. Un procédé qui rappelle la mise en scène d’Il Turco in Italia par Davide Livermore, au « Rossini Opera Festival » de Pesaro (2016), dont le collectif D-Wok, en charge de l’animation numérique, est un collaborateur régulier.
Si cette foule agitée paraît parfois un peu envahissante et hors sujet, la vidéo, elle, entre en dialogue avec l’action, culminant dans le célèbre « Vesti la giubba » de Canio, où elle donne un impact supplémentaire à la performance de Roberto Alagna, d’une incroyable intensité émotionnelle.
Avec les années, le timbre du ténor français n’a rien perdu de sa séduction. Et si sa voix paraît désormais un peu alourdie pour le rôle essentiellement lyrique de Turiddu, la tessiture ne lui pose aucun problème ; il en assume bravement le caractère juvénile et insouciant. Mais c’est, surtout, dans l’écriture plus dramatique de Canio que Roberto Alagna peut donner la pleine mesure de son tempérament d’interprète et de sa maturité vocale.
Malgré un médium élargi, Aleksandra Kurzak est soumise à rude épreuve en Santuzza, qu’elle aborde à cette occasion. L’aigu, en particulier, sonne tendu et forcé. La soprano polonaise, en revanche, sait évoquer les multiples facettes de Nedda, subtil mélange de légèreté et de cruauté, la voix s’épanouissant sans contrainte dans une écriture convenant, cette fois, à ses moyens.
Également présent dans les deux opéras, le baryton italien Ambrogio Maestri se révèle aussi puissant que sobre, convaincant dans ses personnages de jaloux, l’autoritaire Alfio et le pathétique Tonio. Dans le « Prologue » de Pagliacci, il apparaît comme un double de Fellini : sa diction, sa projection et son sens du mot font merveille.
Une mention pour la désormais mythique et infatigable Lucia d’Elena Zilio, ainsi que pour le prometteur Silvio de Davide Luciano. Sous la direction compétente de Marco Armiliato, chœurs et orchestre offrent un soutien d’exception à ce plateau de choix.
ALFRED CARON
PHOTO © FOTO ENNEVI