LUMA Arles, Parc des Ateliers, Grande Halle, 5 juillet
C’est alors qu’il réalisait une version scénique de la Passion selon saint Jean (Johannes-Passion) de Bach, au Klarafestival de Bruxelles, que Pierre Audi fit appel à Samir Odeh-Tamimi (né en 1970). Il voulait, en effet, intercaler une pièce contemporaine entre les deux parties de la Passion et, pour ce faire, il se tourna vers ce compositeur d’origine israélo-palestinienne, qui vit à Berlin. Celui-ci lui proposa une petite œuvre inspirée par un extrait de L’Apocalypse arabe, recueil écrit par Etel Adnan (née en 1925), poétesse d’origine libanaise, depuis longtemps installée à Paris.
Pierre Audi, franco-libanais lui-même, connaissait bien ce texte. Lorsqu’il fut nommé directeur général du Festival d’Aix-en-Provence, il décida donc de commander à Samir Odeh-Tamimi une œuvre entière à partir du recueil, en correspondance avec l’ouverture de LUMA Arles, vaste complexe artistique et culturel, voulu par la collectionneuse et mécène Maja Hoffmann. Les deux représentations se sont jouées dans la Grande Halle du Parc des Ateliers, au cœur des lieux d’expositions et juste à côté de la spectaculaire tour qui vient d’être érigée par l’architecte star, Frank Gehry.
Le recueil L’Apocalypse arabe a été écrit en français, en 1975, juste avant la guerre civile au Liban. Au départ, Etel Adnan voulait en faire un texte expérimental, basé sur la répétition, à l’image de certains poèmes de Gertrude Stein. Le thème principal en est le soleil, qui est un signe double. D’après l’écrivaine, « c’est lumineux, positif, mais en même temps, le soleil brûle, il crée des déserts ; c’est un objet assez effrayant ». Très vite, le texte devint visionnaire : il annonçait les catastrophes qui allaient s’abattre en chaîne sur le Liban, considéré à l’époque comme la Suisse du Moyen-Orient.
Pour son adaptation musicale, Samir Odeh-Tamimi n’a pas retenu l’intégralité des cinquante-neuf poèmes, mais seulement vingt-trois, pour une partition d’une durée d’environ une heure et vingt minutes. Comme le recueil n’est pas narratif, il n’y a pas d’histoire à proprement parler ; il s’agit plus d’une sorte d’incantation lyrique, d’oratorio. Il n’y a d’ailleurs pas davantage de personnages, mais un Chœur composé de cinq femmes, qui exprime toutes les émotions que charrie le texte, en utilisant autant le chant que la parole. Et la figure principale est le Témoin : incarnant le regard à hauteur d’homme sur ce qui est dit, il est le double d’Etel Adnan elle-même. Il s’exprime à la fois en grec (langue de la mère de la poétesse) et en français.
La partition est écrite pour quinze instruments, auxquels s’ajoute de la musique électronique. Les cuivres et les percussions y tiennent une place importante. Placé sous la direction du chef israélien Ilan Volkov, c’est l’Ensemble Modern qui en a la charge, et on est souvent impressionné par la violence et la force de son interprétation. Le Chœur de femmes – composé d’une soprano et de quatre mezzos – et le Témoin – incarné par le baryton Thomas Oliemans –, qui tournent autour des spectateurs (dans la Grande Halle, l’orchestre est au centre, et on joue sur tous les côtés), sont également très impliqués.
Il se dégage une véritable puissance de l’ensemble, car le langage de Samir Odeh-Tamimi réussit à transcrire les horreurs de cette Apocalypse arabe. Mais on finit un peu par se lasser, comme si la musique devenait redondante par rapport à la musicalité du texte même, ou comme si le compositeur n’avait pas su varier suffisamment les différentes métamorphoses du texte (un texte peut être répétitif sans que la musique qui l’accompagne le soit forcément).
La sobre mise en espace de Pierre Audi est efficace, dans une scénographie d’Urs Schönebaum qui, faisant appel aux vidéos de Chris Kondek, évoque évidemment le soleil. Au début, on voit un entretien avec Etel Adnan, parlant de son œuvre. L’image de cette vieille dame, qui porte un regard si juste et si tempéré sur le monde et sa fureur, restera un des plus beaux moments de la soirée.
PATRICK SCEMAMA
PHOTO © RUTH WALZ