Comptes rendus Rigoletto pour la musique à Nancy
Comptes rendus

Rigoletto pour la musique à Nancy

20/07/2021

Opéra National de Lorraine, 27 juin

Si un élément pose problème dans le livret de Rigoletto, c’est bien la multiplication des lieux dans une même unité dramatique, particulièrement à l’acte I, où l’on passe du palais à la rue, puis à la maison de Rigoletto, et de nouveau à l’extérieur. En transposant l’action dans un lieu unique, tout à la fois coulisses d’un théâtre et salle de répétitions du corps de ballet, dont le Duc serait le patron et le maître à danser, Richard Brunel n’a guère arrangé les choses.

Rigoletto a perdu sa bosse au profit d’une canne, mais par là même aussi, son statut de bouffon. Du coup, son lien avec le Duc manque de clarté, à moins d’avoir lu auparavant la note d’intention du metteur en scène. Mais il a gagné une épouse – la danseuse Agnès Letestu –, dont le fantôme le hante et dont le souvenir obsède aussi Gilda. Peut-être, du reste, cède-t-elle aux avances du Duc (comme sa mère avant elle ?), dans l’espoir de devenir, à son tour, une étoile…

Si l’introduction de l’élément chorégraphique se révèle payante au II, dans le chœur des courtisans, ou au III, dans le quatuor, que Richard Brunel transforme en numéros de music-hall parodique, partout ailleurs, les interventions d’Agnès Letestu paraissent inutilement redondantes, quand elles ne parasitent pas purement et simplement la musique. Un exemple : la scène de l’orage, où ses mouvements, avec voiles et bâtons façon Loïe Fuller, phagocytent complètement l’espace.

Si l’opéra gagne en modernité dans cette transposition, notamment le personnage de Gilda qui, de jeune fille candide, devient une adolescente en révolte – c’est elle qui rejoint le Duc dans sa chambre et se poignarde au final –, c’est au prix de nombreuses contradictions et incohérences avec le livret.

Il faut donc l’implication d’une distribution d’excellent niveau pour convaincre pleinement, malgré tous ces écarts. Dans le rôle-titre, l’Espagnol Juan Jesus Rodriguez possède un baryton large et bien timbré, dont la projection impressionne, mais qui sait également traduire la fragilité du personnage et ses tendresses.

La voix haut placée d’Alexey Tatarintsev paraît assez métallique. Déstabilisé dans le premier air du Duc, où le tempo extrêmement serré ne lui laisse guère le temps de chanter, le ténor russe peut enfin déployer toute l’étendue de ses registres, avec un rien de complaisance, dans sa grande scène du II.

La soprano espagnole Rocio Pérez, éblouissante Gilda, possède un rien d’acidité dans le timbre et un physique qui collent parfaitement à son personnage, tel que le conçoit la production. Önay Köse, puissante basse turque, confère à Sparafucile une stature véritablement hors norme. Et la contralto italienne Francesca Ascioti donne beaucoup de présence à Maddalena, dont elle sait communiquer l’ironie charmeuse.

L’excellent Chœur de l’Opéra National de Lorraine et l’Orchestre en formation réduite répondent au doigt et à l’œil à la baguette d’Alexander Joel, qui offre de Rigoletto une lecture tendue et très dramatique. Après Nancy, ce spectacle, coproduit avec l’Opéra de Rouen Normandie, l’Opéra de Toulon et les Théâtres de la Ville de Luxembourg, n’a pas fini de voyager.

ALFRED CARON

PHOTO © JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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