Opéra, 29 juin
En composant Aliénor, commande de l’Opéra de Limoges, Alain Voirpy (né en 1955) a voulu célébrer une femme d’exception : Aliénor d’Aquitaine, deux fois reine (elle épousa Louis VII de France, puis Henri II d’Angleterre), mère de deux rois (Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre), personnalité de choix par son énergie politique, mais aussi par la place qu’elle occupa dans une période qui vit la naissance de l’art gothique et l’épanouissement des troubadours.
Le compositeur français n’a pas souhaité, cependant, écrire un opéra historique aux vastes développements, mais plutôt concevoir une sorte de tombeau d’Aliénor, dont celle-ci serait davantage le pivot que l’héroïne.
L’action débute dans un musée du Moyen-Orient, où une guide explique quelle a été l’importance d’Aliénor. Celle-ci figure dans une espèce d’installation, au sommet d’un amoncellement de cubes et d’escaliers qui restera, jusqu’à la fin, l’unique décor.
Commence alors un premier monologue d’Aliénor, dont la ligne de chant pourrait être un compromis historique entre Alban Berg et Richard Strauss. Alain Voirpy ne propose pas un langage nouveau, il cultive une diversité de styles qui compense le relatif statisme des situations.
Soprano dramatique d’une réelle autorité vocale et scénique, Catherine Hunold campe Aliénor avec un certain hiératisme. Quand arrive Henri II, qui a fait de son épouse sa prisonnière, l’échange devient inégal : le roi d’Angleterre a beau jouer de sa lance à la manière de Wotan, Alain Voirpy ne lui confie qu’un récitatif assez monotone, qui nous frustre d’une belle leçon de chant de la part du sombre et menaçant Jérôme Boutillier.
Un second monologue d’Aliénor, sans grande variété par rapport au premier, aboutit à une seconde intervention du baryton, cette fois dans le rôle de Richard. Leur dialogue, plus nerveux, débouche sur un duo mère/fils qui culmine sur les mots « Je t’aime ». Mais c’est à la faveur de sa troisième apparition, quand il déclame un poème en occitan, qu’on peut enfin goûter le lyrisme dont sait faire preuve Jérôme Boutillier et les nuances dont sa voix peut se parer.
Norah est incarnée par la comédienne Marie Vanhonnacker : elle est la guide d’abord, puis une espèce d’héroïne anonyme, la robe en sang, qui raconte, dans une longue déploration en arabe, les violences faites aux femmes. Cette intervention, disproportionnée et amplifiée, rompt le rythme de l’ouvrage.
À la fin, tout à coup, le décor tourne sur lui-même et laisse apparaître une nouvelle installation, où sont représentées cinq figures féminines mythiques (la Vierge, la statue de la Liberté, etc.), ainsi qu’une Femen. Car nous sommes revenus dans un musée, à New York, cette fois, et la guide n’est autre qu’Aliénor en personne.
Il faut voir, dans cet épisode, une nouvelle parabole de l’injustice faite aux femmes et de la liberté qu’il leur faut conquérir. Mais le propos se retourne, hélas, contre son objectif, Aliénor, otage du pouvoir des hommes, devenant, malgré elle, l’otage des discours convenus (il est même conseillé à Donald Trump d’acquérir l’installation finale, ce qui, sept mois après sa défaite, peut prêter à sourire).
Daniel Kawka dirige l’Orchestre de l’Opéra de Limoges avec un soin attentif, de manière à ne pas couvrir les chanteurs dans les passages parlando. Mais l’apport du chef n’est pas seulement technique : il est également sensible, et permet de faire sourdre de la fosse des frémissements et des élans.
Si les instruments graves sont privilégiés au début, notamment la clarinette basse, certains alliages de timbres rappellent le Ravel de Daphnis et Chloé ou de Ma mère l’Oye, même si des passages qui se veulent brillants, comme l’évocation de Constantinople, pèchent parfois par leur naïveté illustrative.
Kristian Frédric, cosignataire du livret avec Alain Voirpy, est aussi metteur en scène : avec sa compagnie Lézards Qui Bougent, il a conçu un spectacle peu mouvementé, mais qui correspond à l’esprit de la partition. Quelques projections de visages, de silhouettes ou d’oiseaux apportent de l’animation ; la profession de foi féministe, sur fond d’étoiles filantes, n’en devient pas moins trop démonstrative.
Le personnage d’Aliénor est bien présent au début, mais finit par s’abîmer dans un plaidoyer dans l’air du temps qui affaiblit tout ce qu’il y a d’irréductible dans cette noble figure.
CHRISTIAN WASSELIN
PHOTO © STEVE BAREK