La Monnaie, 27 juin
Souvent réduites à la description d’un amour tragique et malheureux, les mises en scène de Tosca n’explorent pas toujours suffisamment la dimension politico-religieuse de l’œuvre, pourtant chère à Victorien Sardou.
Rafael R. Villalobos choisit tout l’inverse. Pour lui, la relation entre Tosca et Cavaradossi est, avant tout, victime d’un système corrompu. Dans cette nouvelle coproduction entre Bruxelles, Montpellier, Barcelone et Séville, l’opéra de Puccini devient une rébellion contre le pouvoir, une dénonciation de celui-ci, quand il brandit la peur (de la police, de Dieu) pour contraindre.
Afin d’illustrer son propos, Rafael R. Villalobos s’inspire de l’univers de Pier Paolo Pasolini, et plus particulièrement de Salo ou les 120 Journées de Sodome (Salo o le 120 giornate di Sodoma), son dernier film. Pourquoi ? Tout simplement parce que le poète, écrivain et cinéaste italien fut, pendant toute sa carrière, la cible des autorités bien-pensantes, qu’il combattit jusqu’à son assassinat, en 1975.
La perversion fait son entrée, dès le premier acte : les enfants de chœur, tels des mignons, revêtent des surplis, dont la transparence laisse entrevoir sous-vêtements et corps juvéniles. Le II nous conduit tout droit chez Sade, avec un Scarpia entouré de jeunes hommes nus, se déplaçant à quatre pattes et se faisant caresser par le baron.
L’ambiance est malsaine, entre relents de pédophilie et de sadomasochisme, mais elle transcrit à merveille l’abomination qu’il s’agit de dénoncer. Le III calme le jeu ; il revient au dépouillement de l’unique et magnifique décor blanc, en forme de colisée, figurant aussi bien l’église que la cour circulaire du palais Farnèse et le château Saint-Ange.
Pour servir une vision aussi forte, il faut naturellement des acteurs autant que des chanteurs. Myrto Papatanasiu, qui n’est pas sans rappeler, physiquement et vocalement, son illustre compatriote Maria Callas, est ainsi une Tosca altière et incandescente.
D’abord coquette en tailleur pantalon et chapeau, elle devient passionaria en fourreau noir et ample manteau rouge, chaque tenue offrant un contrepoint à l’évolution dramatique. Vocalement, Myro Papatanasiu relève les défis de puissance et d’expressivité du rôle, grâce à un timbre tranchant et à une émission qui gagne en souplesse, au fil de la représentation.
Pavel Cernoch donne une belle dimension à Cavaradossi, ami courageux et fidèle, amant confiant jusqu’à la mort. La voix, pleine et agile, est apte à déployer lyrisme comme bravoure. Le Scarpia de Laurent Naouri est glaçant, véritable incarnation du mal sous toutes ses formes. Mais pas de manière caricaturale.
Le chef de la police romaine est ici un pervers narcissique qui, tour à tour, enjôle et menace. Lorsqu’il se déshabille pour enfiler collier de chien et menottes, il est clair que le jeu sadomasochiste et la torture morale auxquels il s’adonne le conduiront trop loin, à cette mort dans laquelle il semble atteindre l’orgasme pour la dernière fois.
Le drame de Puccini est à ce point porté par son trio phare que le reste de la distribution passe au second plan, sans pour autant démériter, loin de là. L’Orchestre Symphonique de la Monnaie, quant à lui, est le quatrième personnage principal, voire le tout premier.
Aucune complaisance, ni dégoulinements véristes : Alain Altinoglu fait entendre la subtilité de l’écriture puccinienne, lui donnant même parfois un côté chambriste (l’effectif instrumental a été réduit par Frédéric Chaslin pour respecter la distanciation entre les musiciens).
Cette Tosca bruxelloise est donc une magnifique réussite, un moment d’émotion rare, où la tension ne quitte jamais ni la scène, ni la fosse.
KATIA CHOQUER
PHOTO © KARL FORSTER