Basilique, 10 juin
Le couvre-feu desserrait son étau et permettait enfin de vraies soirées, le ciel était exceptionnellement lumineux, le concert était retransmis à l’extérieur de la Basilique, pour un public confortablement installé sur des chaises longues… et Roberto Alagna, « l’enfant de la Seine-Saint-Denis », comme le soulignait avec fierté le Festival, offrait un florilège d’airs d’opéra et de chants sacrés.
Timbre solaire, legato velouté, grave solide, aigu toujours élégant, puissant quand il le faut, mais sans tension… Toutes les qualités du ténor apparaissent avec éclat dans le Pietà, Signore ! de Stradella (qui, comme on le sait, doit tout à un compositeur mystère du XIXe siècle, Fétis, Niedermeyer ou, peut-être, Rossini), le suave Panis angelicus de Franck, ou l’Ave Maria de Schubert, donné dans la version apocryphe qui applique au forceps le texte liturgique à la musique composée sur une paraphrase de la prière mariale.
On est déjà plus près de l’opéra avec « Le Repos de la Sainte Famille », extrait de L’Enfance du Christ de Berlioz. Ici, d’autres qualités sont à l’œuvre. La première, toujours confondante chez Roberto Alagna, c’est la juste diction, non pas sèche et mâchée, comme trop souvent dans l’école française du passé, mais goûteuse. Il y a chez lui, au-delà du plaisir de chanter, un vrai plaisir de dire. De raconter, aussi, l’Histoire sainte à des enfants, avec une naïveté feinte ou sincère, mais incontestablement touchante.
Roberto Alagna est un grand acteur. Il semble quasiment en extase, les yeux levés au ciel, quand le texte propose des élans mystiques. Cependant, il sait revenir sur terre en souriant, l’œil pétillant dès la fin du morceau, et plaisanter quand la lumière s’éteint pendant quelques minutes, plongeant l’orchestre dans la pénombre.
On en vient ensuite à l’opéra. Rien ne pouvait mieux correspondre au caractère sacré du programme et à la solennité du lieu que la « Prière » de Rodrigue (« Ô souverain, ô juge, ô père »), dans Le Cid de Massenet. Air sublime, travaillé note à note avec des sons filés angéliques, des pianissimi de rêve, des aigus qui montent (au ciel), et un phrasé parfait, ce qui ne peut que déchaîner une tempête d’applaudissements.
On termine avec Lohengrin. Son rôle-titre est la plus récente conquête de Roberto Alagna, à Berlin, en décembre 2020 (voir O. M. n° 169 p. 33 de février 2021). Probablement plus à l’aise en concert qu’à la scène, il fait entendre trois extraits (« Nun sei bedankt », « In fernem Land » et « Mein lieber Schwan ! »), comme aucun ténor français ne les a jamais chantés depuis Georges Thill.
La complicité est évidente avec le chef espagnol David Giménez qui, à la tête de l’Orchestre National d’Île-de-France, prodigue quelques intermèdes de choix (L’Arlésienne de Bizet, Rosamunde de Schubert…). Et comme on ne va pas se quitter sur les mélancoliques « Adieux au cygne » de Lohengrin, Roberto Alagna offre un angélique Ave Maria de Gounod, puis un Notre Père – a cappella – de sa composition, pour clore ce concert populaire et raffiné.
JACQUES BONNAURE
PHOTO © FESTIVAL DE SAINT-DENIS/CHRISTOPHE FILLIEULE