Comptes rendus Château de Barbe-Bleue intime
Comptes rendus

Château de Barbe-Bleue intime

23/06/2021

1 SACD Bis BIS-2388

Opéra étrange et inquiétant, Le Château de Barbe-Bleue peut déconcerter par son action avant tout psychologique, mais la splendeur de la partition continue de séduire les chefs d’orchestre. La discographie s’en ressent, qui comprend plusieurs magnifiques réussites, signées Istvan Kertesz (Decca), Marek Janowski (Accord) ou Antal Dorati (Mercury), et s’enrichit régulièrement.

Enregistrée à Helsinki, en janvier 2020, en mixant prises de son sur le vif et en studio, la version dirigée par Susanna Mälkki s’inscrit parmi les plus belles, mais aussi parmi les plus personnelles. Soulignant la force paradoxale de l’amour qui lie Judith à Barbe-Bleue, elle fait de ce huis clos étouffant un drame intime.

La Judith de Szilvia Vörös n’a rien d’une Lulu ou d’une Salome ; elle possède, au contraire, quelque chose de maternel qui, dès le départ, lui fait décider non seulement d’aimer, mais aussi de protéger Barbe-Bleue. Le personnage se situe un peu dans la veine de celui incarné par Violeta Urmana (avec Janowski) ou Christa Ludwig (avec Kertesz). Le timbre de la mezzo hongroise y est pour beaucoup, comme sa préférence donnée au chant sur les éclats théâtraux et, bien sûr, sa maîtrise de la langue.

Face à elle, avoir choisi Mika Kares est une idée judicieuse, car le timbre chaleureux de la basse finlandaise, sa déclamation à la fois hiératique et magnanime, gomment la cruauté ou le cynisme que certains ajoutent au rôle. Ici, Barbe-Bleue n’est en rien un vieillard à la voix usée, mais un guide on ne peut plus attentif dans le parcours vertigineux effectué avec Judith. Quand il lui demande « As-tu peur ? », ce n’est jamais pour la mettre au défi.

Il y a quelque chose de singulièrement tendre entre ces deux interprètes, qui fait de ce Château non pas un drame gothique, mais presque un opéra de chambre. Au début de la cinquième porte, on a certes connu cri plus perçant et fanfares plus implacables mais, précisément, la direction souple et ciselée de Susanna Mälkki participe de cette même conception plus lyrique que dramatique. La clarinette, le cor anglais, la harpe sont mis en valeur par une prise de son naturelle, ne jouant jamais la carte du spectaculaire, et l’orchestre dialogue avec les voix sans jamais les étouffer.

Pour compléter notre bonheur, cette version préserve le Prologue parlé, qui a pour but de nous mettre en condition par la couleur même de la langue hongroise.

CHRISTIAN WASSELIN

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