L’une des conséquences de la pandémie – et, on l’espère, l’une des dernières – est d’avoir obligé l’Opéra Royal de Wallonie-Liège à donner Cosi fan tutte, initialement prévu dans une mise en scène de Jean Liermier, en version de concert et à le filmer, à huis clos, le 14 mai, pour diffusion en streaming, à partir du 5 juin.
On note, devant notre écran, des choristes installés dans la salle et masqués, ainsi que des instrumentistes tout aussi masqués (sauf, bien entendu, les vents) avec, entre eux, une paroi de plexiglas. Pour ce qui est du masque, il semble infliger un tel inconfort à Christophe Rousset que le cadrage vidéo régulier sur son visage a tout d’un gag de mauvais goût. Il faut dire que la captation, bourrée de gros plans disgracieux, n’est vraiment flatteuse pour personne.
Les protagonistes se tiennent raides comme des piquets, mais on sent à leur expression que, rodés à l’art de la scène, ils auraient très envie de bouger. On remarque toutefois que, dans un élan de coquetterie, ces messieurs changent de cravate et de nœud papillon, selon qu’ils sont italiens ou albanais.
Cosi fan tutte est cependant une œuvre tellement ambiguë qu’une conception intime est toujours la bienvenue. Car de quoi s’agit-il exactement ? d’une comédie ? d’un drame ? d’une romance entre adolescents qui se termine plus ou moins mal, selon le point de vue du dramaturge ? Toutes les perspectives sont acceptables.
Dans le cas présent, on ne peut que se raccrocher à la vision du chef pour se faire une opinion. Or, si la direction de Christophe Rousset est rapide, nerveuse, enchaînant implacablement les numéros, si l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège est d’une précision chirurgicale, tout cela ne délivre ni d’ambiance particulière, ni un second degré indispensable. Sans doute était-ce trop demander, dans ces conditions on ne peut plus spéciales.
Du point de vue vocal, les six chanteurs maîtrisent l’art d’une ornementation omniprésente, raffinée et toutefois d’une élégance discrète, l’osmose étant plus tangible du côté des amoureux que des amoureuses.
En Fiordiligi, Maria Rey-Joly délivre un émouvant « Per pietà », et elle fait montre d’une sûreté appréciable dans les redoutables vocalises qui hérissent la fin de l’air. Lucia Cirillo est une Dorabella passionnée, et pas si idiote qu’il ne semble de prime abord.
Que peut-on dire de Cyrille Dubois qu’on ne sache déjà ? Son Ferrando est clair, élégant, disposant d’une infinie palette de couleurs. Mais comment est-il possible d’engager un ténor de cette envergure et de couper son grand air « Ah, lo veggio » ? On en trépigne de rage devant notre écran !
Leon Kosavic est un Guglielmo séduisant, pour ne pas dire sexy, et bien moins premier degré que trop souvent. Il s’apparie à merveille avec Cyrille Dubois, et on aurait bien aimé découvrir ce que ce duo avait à offrir sur scène.
Sophie Karthäuser, absolument adorable en Despina, et Lionel Lhote, subtil Don Alfonso, sont irréprochables, comme toujours.
CATHERINE SCHOLLER
PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE