Salle Gaveau, 20 mai
Le voici donc, le nouveau phénomène, sur le berceau duquel se sont penchées tant de bonnes fées !
Découvert, et en un sens révélé à lui-même, par le regretté Nicolau de Figueiredo ; repéré par Max Emanuel Cencic, qui l’a pris sous son aile au sein de Parnassus, cet inépuisable vivier de voix masculines aiguës, toutes plus exceptionnelles les unes que les autres ; choisi – et donc adoubé – par Philippe Jaroussky, pour incarner Abel dans Il primo omicidio d’Alessandro Scarlatti, son premier projet en tant que chef à part entière ; et, enfin, engagé par Alain Lanceron chez Warner Classics & Erato, écurie de prestige s’il en est, Bruno de Sa mérite assurément l’attention.
Le prodige brésilien se distingue, en effet, non seulement du commun des falstettistes, par son authentique et spectaculaire ambitus, mais aussi de tous ceux qui l’ont précédé dans ce registre stratosphérique – depuis les aigreurs pionnières d’Aris Christofellis jusqu’au filet maniéré et souffreteux de Valer Sabadus, monté en épingle par sa maison de disques, en passant par l’étrange autant que fascinante ventriloquie de Jacek Laszczkowksi, depuis passé ténor. Tout ceci grâce à la fraîcheur, à la facilité, et au naturel d’une émission qui semble avoir été épargnée par la mue.
Dès lors, ce chant exhalant un parfum de paradis perdu ne peut que raviver le fantasme censément coupable des castrats : plus qu’une femme, ou même une quelconque androgynie, le timbre de Bruno de Sa évoque celui d’un enfant, au souffle, à la projection et à l’étendue décuplés. De quoi faire évidemment sensation !
Une certaine réserve, pourtant, s’impose tout au long de ce premier récital parisien, sans se dissiper à son terme. L’arsenal belcantiste déployé par le sopraniste – sans doute est-ce là le terme le moins inapproprié pour désigner un interprète décidément hors norme – impressionne assurément, par une maîtrise que bien des soi-disant spécialistes du répertoire des XVIIIe et XIXe siècles pourraient lui envier, à commencer par un trille époustouflant. Et la vélocité lui est tout sauf un obstacle, dans ces pages peu fréquentées, et au dessin mélodique souvent tortueux, de Scarlatti, Lanciani, Caldara et Haendel.
Cependant, une cadence ici abrupte, là une phrase finie en eau de boudin, laissent à penser que le chanteur n’a pas suffisamment pris le temps de se mettre ces partitions dans la tête, dans le corps et dans la voix. Et son attitude, parfois désinvolte, qu’il se repose un peu trop sur des dons, il est vrai, surnaturels.
Peut-être ce défaut – qu’on espère passager – est-il aussi souligné par l’admirable rectitude des musiciens de l’ensemble Les Accents, menés par Thibault Noally. Dans les pièces purement instrumentales, ils font chanter les lignes avec une souplesse, un abandon sans langueur, auxquels Bruno de Sa aurait tout intérêt à aspirer, afin que son étoile montante parvienne au firmament.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © MARCOS HERMES