L’heure de la réouverture sonne enfin pour les lieux de culture. Au moment où j’écris ces lignes, le 18 mai au matin, la date est toujours fixée au 19 mai, pour ce qui concerne la France. Certains théâtres et salles de concert affichent déjà complet pour leurs événements des jours à venir, quand d’autres, pour des motifs divers, restent dans l’incapacité d’accueillir du public et continuent à filmer leurs productions pour diffusion en streaming.
La jauge est pour l’instant réduite : 35 % du plafond habituel, sans dépasser 800 spectateurs. Ce qui, pour la plupart des maisons d’opéra de l’Hexagone, revient à jouer devant 400 à 500 personnes, et à remplir moins du tiers de -l’Opéra Bastille ! On peut trouver cela absurde, mais l’essentiel n’est-il pas de rouvrir ?
À partir du 9 juin, la jauge devrait passer à 65 %, rejoignant ce qui se fait, par exemple, au Teatro Real de Madrid depuis le début de la saison. Pour y avoir vu, il y a quelques jours, la nouvelle production de Peter Grimes, signée Deborah Warner (un éblouissement !), je peux vous certifer que l’on profite du spectacle sans éprouver la moindre inquiétude d’être contaminé. À condition, bien sûr, de ne pas enlever son masque – la surveillance exercée par le personnel de salle suffit à décourager ceux qui en éprouveraient la tentation.
Le 1er juillet, enfin, plus de jauge, ce qui devrait permettre aux festivals de se dérouler normalement – du moins côté public, car, sur scène, les chœurs devront, sans doute, continuer à chanter masqués ou espacés. Tout ceci au conditionnel, une éventuelle reprise de l’épidémie pouvant tout arrêter du jour au lendemain, comme l’exécutif ne manque pas de le rappeler régulièrement.
À l’étranger, la situation demeure très contrastée. Le Covent Garden a dûment rouvert ses portes, le 17 mai, avec une nouvelle production de La clemenza di Tito. Mais, compte tenu de la quarantaine imposée aux voyageurs entrant au Royaume-Uni, il est peu probable que les mélomanes français se précipitent à Londres de sitôt… Même chose en Allemagne où, quarantaine oblige, les représentations – dont le cours reprend très progressivement selon les Länder, et avec une programmation souvent très réduite – sont virtuellement réservées aux spectateurs allemands et autrichiens.
Bien sûr, ces restrictions sont susceptibles de disparaître demain, comme c’est arrivé en Italie, le 16 mai. Une excellente nouvelle, tempérée, pour les Français tentés de passer les Alpes, par la faiblesse de la jauge : 500 personnes maximum, ce qui revient à remplir la Scala de Milan au quart de sa capacité. Autant dire que, pour les affiches les plus alléchantes, il sera difficile de trouver des places… sauf si le public, malgré l’ivresse du déconfinement, hésite à revenir, comme le craignent certains.
Les théâtres européens, de toute manière, ont désormais le regard fixé sur la saison 2021-2022, qu’ils espèrent placée sous le signe d’une renaissance durable. Pendant que j’écris cet éditorial, je regarde ainsi Alexander Neef, annonçant sur Zoom la future programmation de l’Opéra National de Paris. Étant donné le peu de temps dont le nouveau directeur général a disposé pour la construire – moins de deux ans, puisqu’il a été nommé le 24 juillet 2019 –, et la médiocrité de beaucoup des productions laissées en héritage par ses deux prédécesseurs, on ne peut que s’incliner devant sa qualité et son intelligence.
Certes, comme quelques grincheux n’ont pas manqué de le souligner, les « stars » attendues dans un théâtre jouissant d’un tel prestige sont rares. Pas de Sonya Yoncheva, Anna Netrebko, Sondra Radvanovsky, Diana Damrau, Elina Garanca, Jonas Kaufmann, Roberto Alagna, Juan Diego Florez, Piotr Beczala, Ildar Abdrazakov… Mais qui pouvait imaginer qu’elles avaient encore, en août 2019, des plages libres pour 2021-2022 ? Tous les artistes que je viens de citer sont d’ores et déjà réservés jusqu’en 2026, au moins, et nul doute que l’Opéra National de Paris figure sur leur calendrier.
Pour le reste, les reprises sont bien distribuées, avec de vraies révélations à la clé pour le public parisien (les ténors Pene Pati et Joshua Guerrero, respectivement dans L’elisir d’amore et Manon, les sopranos Olga Busuioc et Adela Zaharia, dans Khovanchtchina et Don Giovanni…) et des consécrations attendues chez les chanteurs français (le premier Rigoletto de Ludovic Tézier dans la capitale, Julien Behr en Pylade -d’Iphigénie en Tauride, Gaëlle Arquez, Sabine Devieilhe et Nicolas Courjal, en Ruggiero, Morgana et Melisso d’Alcina…).
Quant aux nouvelles productions, on ne remerciera jamais assez Alexander Neef du retour d’Œdipe d’Enesco à l’Opéra de Paris, rêve caressé jadis par Nicolas Joel, qui va enfin se concrétiser. Turandot s’imposait après une longue absence : elle sera mise en scène par Robert Wilson (coproduit avec le Teatro Real, le spectacle y a vu le jour, en 2018) et dirigée par Gustavo Dudamel, nouveau directeur musical de l’ONP, qui sera également au pupitre des Nozze di Figaro (Netia Jones à la mise en scène).
Chez Puccini, comme chez Mozart, les distributions seront l’occasion de belles découvertes pour les spectateurs parisiens : Elena Pankratova en Turandot, Vanessa Vasquez en Liù (une merveille d’émotion !), Ying Fang en Susanna…
Comment ne pas saluer, enfin, la création -française d’A Quiet Place de Bernstein ? Pour cet événement, Alexander Neef joue, à raison, la carte du vedettariat : Kent Nagano à la baguette, Krzysztof Warlikowski à la mise en scène, Patricia Petibon et Frédéric Antoun dans les rôles principaux. Que du bonheur !
RICHARD MARTET