Salle Gaveau, Grande Salle, 19 avril
En attendant la réouverture des lieux de spectacle, « L’Instant Lyrique » maintient ses concerts, captés sans public, et destinés à une diffusion ultérieure sur France Musique, partenaire de l’association. Ce 19 avril, dans une Salle Gaveau vide, à l’exception d’une poignée de journalistes, le baryton propose un programme français aussi divers que bien pensé, mêlant airs d’opéra et, domaine où on l’attendrait moins, mélodies.
Il faut d’ailleurs, avouons-le, un certain culot pour commencer par le Poème de l’amour et de la mer, vaste cycle d’une demi-heure, où Chausson se réclame clairement de Wagner, tant pour l’orchestration luxuriante que pour la ligne de chant, alternant éclats dramatiques et déclamation plus intimiste. Applaudissons déjà la performance de David Zobel, qui parvient à suggérer au clavier tout un monde sonore, non seulement avec une sûreté impressionnante, mais aussi un grand sens poétique.
Une dimension qui, précisément, fait défaut à Florian Sempey, sans doute pas assez familier de cette pièce. Et si l’on retrouve ici les immenses qualités qui font son succès à la scène, en particulier une excellente voix, homogène, puissante, mais également capable de murmurer sans rien perdre de son velours, un legato souverain et un évident sens de la communication, force est de constater que le geste vocal semble trop large, trop démonstratif dans ses effets, avec des prodiges de souffle parfois inutiles et des nuances trop extrêmes. D’où un certain manque d’intériorité, avec un texte parfaitement intelligible, mais insuffisamment habité et ciselé.
Après ce long cycle, la concision du recueil Don Quichotte à Dulcinée de Ravel apporte un heureux contraste. Infiniment plus théâtrales, et manifestement bien plus familières, ces trois saynètes sont croquées avec le brillant et le panache que l’on connaît à Florian Sempey. Dommage, quand même, que la Chanson épique soit trop extravertie, couronnée d’un fa aigu glorieux, mais disproportionné.
Les qualités du baryton français font évidemment mouche dans le dernier volet du récital : l’opéra. Il propose un Mercutio bravache dans la « Ballade de la reine Mab » (Roméo et Juliette de Gounod), un Hamlet d’Ambroise Thomas tourmenté dans « Comme une pâle fleur »… et, surtout, un impressionnant Hoël dans « Ô puissante magie ! » (Dinorah de Meyerbeer), une scène requérant virtuosité, large ambitus et puissance, qu’il enlève avec autorité.
Les trois rappels, en direct sur les réseaux sociaux (Instagram et Facebook), permettent une tout aussi large palette expressive. Si la mélodie de Poulenc Les gars qui vont à la fête est parfaite de gouaille, l’air du Figaro de Rossini (« Largo al factotum della città ! »), son rôle fétiche, le montre évidemment très à son aise, mais un rien complaisant dans le cabotinage. Enfin, contraste total avec le lied de Schubert Über allen Gipfeln ist Ruh’, chanté à la corde et pianissimo de bout en bout.
Un récital – à écouter le 24 mai, à 20 h, sur France Musique – qui confirme un artiste de scène formidablement doué, dont la marge de progression dans la mélodie (un domaine qui semble lui tenir aussi à cœur) est encore confortable.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © EDOUARD BRANE