Théâtre Graslin, 12 mars
Grande émotion, en ce 12 mars après-midi, au Théâtre Graslin : alors qu’aucun spectacle n’y avait été joué depuis un an, se donnait, pour les caméras, mais aussi devant une poignée de spectateurs invités, un bref ouvrage d’Albert Lortzing, Die Opernprobe (Francfort, 1851). Une grande petite victoire qui en dit long sur la capacité à s’adapter et à rebondir d’Angers Nantes Opéra, puisque après l’annulation de la Lucia di Lammermoor initialement prévue, ce très rare « Singspiel » – l’ultime du compositeur – a pu être monté en quelques semaines à peine.
Contacté seulement le 27 janvier, le chef néerlandais Antony Hermus a immédiatement accepté de diriger un opéra qu’il ne connaissait pas, tandis que la distribution mise sur pied recoupe, en grande partie, celle de la production suivante, Les Fourberies de Figaro (d’après Le Barbier de Séville). Éric Chevalier a rejoint le projet, en se chargeant à la fois de la mise en scène, des décors, costumes et lumières, mais aussi de l’adaptation des dialogues parlés et de leur traduction en français.
Die Opernprobe (La Répétition d’opéra) est une intéressante variation sur le thème bien connu du « théâtre dans le théâtre ». En 1794, en Allemagne, dans un monde de privilèges qui touche à sa fin, le fils d’une famille noble (le Jeune Baron), fuyant un mariage arrangé, tombe amoureux d’une jolie aristocrate (Luise), sans savoir que c’est précisément celle qui lui est promise. Pour approcher la belle, il utilise la marotte du père de celle-ci (le Comte), fou d’opéra au point de s’exprimer en récitatifs chantés, et va se faire passer, accompagné par son valet (Johann), pour un chanteur itinérant.
Il participe ainsi à la répétition dirigée par la femme de chambre du château (Hannchen), promue pour l’occasion « Kapellmeister ». Mais dans ce savoureux jeu de dupes, le dupeur sera bien aise d’être démasqué pour enfin épouser celle qu’il aime, tandis que Johann trouvera en Hannchen une joyeuse partenaire, avec qui parcourir le monde.
Sur cette intrigue fort simple, inspirée d’une pièce française de Philippe Poisson, le compositeur allemand, également auteur du livret, a commis une partition charmante et pleine d’esprit, que personnellement nous n’irions pas jusqu’à qualifier de chef-d’œuvre, ni même de « chant du cygne » – Lortzing est mort d’une attaque au lendemain de la création ! –, malgré ce qu’on peut lire dans le texte de présentation enthousiaste d’Alain Surrans, directeur général d’Angers Nantes Opéra.
Si, d’évidence, Lortzing a voulu rendre hommage à Mozart, qu’il vénérait, il n’égale pas son modèle, en particulier dans l’art de donner à des personnages de comédie une profondeur psychologique. Il reste alors une Ouverture très enlevée et dix jolis numéros, où l’on entend certes Mozart ou Haydn, mais aussi quelques bouffées de Weber.
Cette petite heure de spectacle se voit avec beaucoup de plaisir, grâce à une mise en scène lisible et vivante, et à une direction musicale soignée. La distribution, elle, repose essentiellement sur les épaules de trois personnages. On goûte le timbre du ténor argentin Carlos Natale en Jeune Baron, ainsi que son élégance en scène, mais ce sont surtout les deux artistes lyriques en résidence, cette saison, qui brûlent les planches.
Ravissante dans sa livrée à la française, qui lui donne l’allure du Compositeur d’Ariadne auf Naxos – œuvre à laquelle le metteur en scène rend hommage en faisant tirer, à la fin, un feu d’artifice… qui embrase le domaine ! –, surtout quand on la voit toujours prête à noter un bout de mélodie qui lui vient en tête, la soprano Marie-Bénédicte Souquet incarne une vive Hannchen, aux aigus faciles. Le truculent Johann du baryton Marc Scoffoni est réjouissant de naturel scénique et vocal, avec un instrument mordant, mais capable aussi d’enchanteresses demi-teintes.
Un bien joli spectacle qui, s’agissant de la création française de l’œuvre, mériterait d’être repris ultérieurement, avec public. En attendant, on pourra le visionner sur Facebook et YouTube, à partir du 10 avril, première étape d’un mini-festival numérique, intitulé « Avril au balcon ».
THIERRY GUYENNE
PHOTO © ANGERS NANTES OPÉRA/JEAN-MARIE JAGU