Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 11 mars
Marier Offenbach (une opérette en français) et Schoenberg (un opéra en allemand) dans un même spectacle, baptisé Quand le diable frappe à la porte, il fallait oser ! Ce pari audacieux et non conformiste, Patrice Martinet, le directeur de l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, a eu raison de le tenter, car la réussite est au rendez-vous.
Si les racines des deux musiciens ne sont pas très éloignées – Offenbach est né à Cologne, Schoenberg à Vienne –, leurs œuvres sont on ne peut plus opposées. Mais les deux livrets ont quelque chose en commun : dans un jeune couple, l’épouse est soumise à la tentation, par le diable en personne chez Offenbach, par un chanteur chez Schoenberg. Elle commence par succomber, mais se reprend, non sans avoir mis les points sur les i auprès de son mari. À la fin, c’est la vie conjugale qui l’emporte.
Dans Les Trois Baisers du diable (Paris, 1857), Offenbach et son librettiste, Eugène Mestépès, tournent en dérision le mythe de Faust. Marguerite s’appelle ici Jeanne. Elle est mariée au bûcheron Jacques, et ils ont un petit garçon. Leur ami Georges (rôle travesti) joue du violon. Le diable, qui se fait appeler Gaspard, demande à Jeanne trois baisers et la comble de cadeaux. Elle cède alors deux fois, mais n’accorde pas le troisième baiser. Gaspard enlève son fils. Aux douze coups de minuit, le violon de Georges donne à Jeanne la force de se refuser, et le diable retourne en enfer.
Dans sa mise en scène très vivante, Alma Terrasse a l’intelligence de ne pas forcer le trait : si Jeanne manie le rouet et aime les bijoux, Gaspard, sourcils noirs et barbe de circonstance, se cache sous les oripeaux d’un marchand ambulant. Offenbach s’amuse à composer des airs et duos fringants : « Ah ! si j’étais à Paris », « Le travail, c’est la tristesse/Le bon vin, c’est la gaieté ! », etc.
Le baryton Antoine Philippot est un Gaspard sardonique, face au Jacques bon garçon du ténor Benoît Rameau, et au Georges de la soprano Odile Heimburger. Pour Jeanne, Offenbach a écrit des airs où la chanteuse peut mettre en valeur ses aigus, et Mélanie Boisvert ne s’en prive pas.
Von heute auf morgen a été créé à Francfort, en 1930, sur un livret de Max Blonda (pseudonyme de Gertrud Schoenberg, la seconde épouse du compositeur). Un grand lit occupe la scène, et l’action se déroule en temps réel.
Un homme et son épouse reviennent d’une soirée. La femme n’a pas été indifférente aux avances d’un ténor avantageux, tandis que le mari a été sensible aux charmes de l’amie de son épouse. Une scène de ménage s’ensuit. Pour reconquérir son homme, la femme se pare de bijoux et d’une robe décolletée. Le mari redécouvre alors soa femme. Quand surgissent les tentateurs, les deux couples se disputent, mais l’amie et le ténor cèdent la place. Le mari et l’épouse se réconcilient.
Mélanie Boisvert incarne avec coquetterie l’Épouse qui, de femme au foyer, se métamorphose en vamp. Avec sa perruque rousse digne de Fellini, Odile Heimburger est l’Amie qui joue le jeu de la séduction. En Mari sûr de lui, Antoine Philippot s’oppose à Benoît Rameau, qui fait du Ténor, fat et ridicule, une composition savoureuse.
L’ensemble instrumental Musica Nigella, composé de cinq musiciens, met en valeur aussi adroitement Offenbach que Schoenberg, sous la direction avisée de Takénori Némoto, qui a également transcrit les partitions pour orchestre réduit.
On ne peut que souhaiter la reprise d’un spectacle aussi original que rondement mené. En l’état, filmé devant quelques invités, il sera diffusé gratuitement sur le site du théâtre, du 29 mars au 11 avril.
BRUNO VILLIEN
PHOTO © GABRIELLE ALESSANDRINI