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Comptes rendus

Le Teatro Real de Madrid, toutes portes ouvertes

26/03/2021

Mais comment les salles de spectacle madrilènes font-elles pour accueillir des spectateurs en temps de Covid-19 ? La presse française s’est beaucoup posé la question, ces dernières semaines, avec des articles dans Le Monde, Le Figaro, Marianne… Surtout que, les restaurants étant également ouverts, la population de la capitale espagnole peut sans problème savourer un assortiment de tapas ou une paella, en intérieur ou en terrasse, avant ou après avoir été regarder un film ou assister à une pièce de théâtre. Bref, tout ce dont rêvent les Français depuis le 29 octobre, date d’entrée en vigueur du deuxième confinement !

Profitant de la possibilité de voir, entre le 9 et le 12 mars, Norma et Siegfried (nos délais de bouclage ne m’ont pas permis d’en inclure les comptes rendus dès ce numéro), j’ai voulu, à mon tour, aller voir de plus près le « miracle » madrilène, dans un Teatro Real qui, depuis sa réouverture, le 1er juillet 2020, a réussi à accueillir du public pour chacune des représentations prévues. Un exploit unique en Espagne où, en raison d’une réglementation sanitaire différente selon les communautés autonomes (« -comunidades »), le Liceu de Barcelone ou le Palau de les Arts de Valence, pour ne citer qu’eux, ont été contraints, à un moment ou à un autre, de fermer temporairement leurs portes. La recette ? Des protocoles sanitaires stricts, mais capables de s’adapter à l’évolution de la situation au jour le jour, perfectionnés au fil des mois et garants d’une sécurité optimale, tant pour les artistes et personnels techniques que pour les spectacteurs.

« Dès le mois d’avril 2020, alors que l’Espagne était confinée comme beaucoup d’autres pays, le Teatro Real a créé un comité médical qui, depuis cette date, nous conseille pour tout ce qui concerne la sécurité sanitaire dans nos murs, explique Ignacio Garcia-Belenguer, le directeur général. Il se réunit toutes les semaines et nous fait des recommandations, tantôt de sa propre initiative, tantôt en réponse à nos interrogations. En un an, nous avons dépensé un million d’euros en équipements divers : lampes à ultraviolets pour désinfecter toutes les parties du bâtiment ; portiques mesurant la température corporelle ; tapis désinfectants à chaque entrée ; nouveaux robinets automatiques dans les toilettes, pour éviter tout contact – toilettes dont nous avons aussi augmenté le nombre… Ce montant inclut encore les frais liés à l’embauche de personnels supplémentaires. Et je ne vous parle pas de l’augmentation de la facture mensuelle d’électricité, consécutive aux travaux d’amélioration du système d’air conditionné et à notre décision de le renouveler vingt-sept fois par heure, au lieu de seulement huit, comme la réglementation l’impose ! »

De fait, dès son arrivée au théâtre, le visiteur, évidemment masqué pendant toute la soirée, se sent parfaitement en sécurité. Aucun engorgement, aucune bousculade : chacun s’installe tranquillement dans son siège, la jauge de la salle étant fixée à 65 % depuis le mois de septembre (c’était moins en juillet), avec un siège libre entre chaque spectateur ou groupe de spectateurs ayant réservé ensemble. Une anecdote, racontée par Ignacio Garcia-Belenguer, conforte ce sentiment. « Il y a un mois, le lendemain d’une représentation à laquelle il avait assisté, un homme nous a averti qu’il venait d’être testé positif. Aussitôt, nous avons testé les vingt-cinq personnes assises autour de lui, grâce aux numéros de téléphone qu’ils doivent nous laisser au moment de la réservation, puis nous avons refait le test, huit jours plus tard. Personne n’avait été contaminé ! »

Même chose en fosse et de l’autre côté de la rampe. « Le chef d’orchestre a le choix, nous explique Joan Matabosch, le directeur artistique du Teatro Real. En répétition comme en représentation, soit il porte un masque, soit il dirige derrière une paroi en plexiglas, comme le font, en ce moment, Marco Armiliato dans Norma et Pablo Heras-Casado dans Siegfried. Les instrumentistes sont distancés et jouent masqués, à l’exception des vents, installés eux aussi derrière une paroi en plexiglas et suffisamment éloignés les uns des autres. Pour Siegfried, les quatre-vingt-dix musiciens requis ne pouvant pas tous entrer dans la fosse, nous avons disposé les harpes et une partie de cuivres dans les loges de côté. »

Le premier soir, au début de Norma, une chose m’a beaucoup intrigué. Alors que les choristes féminines étaient visiblement masquées, j’avais l’impression que leurs homologues masculins ne l’étaient pas. « Le chœur, pousuit Joan Matabosch, porte obligatoirement un masque, différent selon les circonstances : chirurgical, en répétition ; spécifiquement conçu pour favoriser le passage du son sans risque d’aérosolisation, en représentation. La costumière de Norma, Sue Willmington, a réussi à fondre le masque dans la barbe de chacun des Gaulois, ce qui explique votre étonnement ! Évidemment, c’est une gêne pour les choristes. Mais ils préfèrent le masque à la solution consistant à chanter éloignés les uns des autres de deux mètres, comme c’était le cas dans La -traviata, en juillet. »

Quant aux solistes, leur sécurité est, comme pour l’ensemble du personnel, l’une des priorités de la direction. « Ils répètent masqués, ont chacun une doublure, et sont testés toutes les semaines, souligne Ignacio Garcia-Belenguer. De plus, chaque jour, ils doivent remplir une déclaration sur l’honneur concernant leur état de santé. Le système repose beaucoup sur la confiance mutuelle : nous leur garantissons des conditions de sécurité maximale ; en retour, ils s’engagent à prendre le maximum de précautions. » Joan Matabosch abonde dans ce sens : « Les chanteurs se sentent en sécurité ici, d’autant que je leur envoie notre protocole sanitaire en amont. Du coup, très peu renoncent à venir. Quand cela arrive, par exemple parce qu’ils ont peur, à leur retour de Madrid, de contaminer un membre âgé ou malade de leur famille, je leur rends leur contrat sans aucune pénalité. »

Le tableau est apparemment idyllique, mais les deux directeurs, avec, au-dessus d’eux, le conseil d’administration présidé par Gregorio Marañon, ne font pas mystère des énormes défis à relever au quotidien. Ignacio Garcia-Belenguer, en tant que directeur général, est confronté à un double phénomène : l’augmentation des dépenses et la baisse des recettes de billetterie. « Jusqu’en mars 2020, nous vendions entre 90 % et 100 % de nos sièges. Aujourd’hui, nous sommes à 65 %. La perte est donc importante, mais nous sommes très soutenus par l’État, la Communauté autonome et la Ville de Madrid. Tous se sont engagés à combler le déficit, si besoin. Et puis, nous pouvons toujours compter sur nos mécènes. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ils nous ont donné davantage en 2020 qu’en 2019, et nous en avons même attiré neuf nouveaux ! J’y vois une récompense des efforts accomplis par l’ensemble du personnel. Un témoignage de confiance, également, dans nos comportements, comme dans les décisions que nous avons prises et prendrons encore. »

En tant que directeur artistique, Joan Matabosch doit faire face à des difficultés d’un autre ordre. « Nous n’avons renoncé à aucune production depuis le confinement, pas même à Achille in Sciro de Corselli et The Passenger de Weinberg, prévues en mars et juin 2020, et repoussées à des saisons futures. Après, il a fallu s’adapter. Ainsi, quand Peter Gelb m’a annoncé, en mai dernier, qu’il ne pourrait pas envoyer la production d’Un ballo in maschera signée David Alden, pour l’ouverture de notre saison, quatre mois plus tard, nous avons dû improviser. Sachant que le Teatro La Fenice avait prévu d’exporter sa mise en scène de l’ouvrage au Teatro de la Maestranza, pendant l’hiver, je me suis entendu avec les directeurs de Venise et de Séville, pour qu’elle fasse étape à Madrid sur son chemin. Tout le monde y a trouvé son compte ! Pour Rusalka, en novembre, Christof Loy voulait les chœurs sur le plateau. À l’époque, au vu de l’évolution de la crise sanitaire, cela paraissait difficile. Je lui ai demandé de réfléchir à une solution alternative, qui a finalement consisté à les installer en coulisse. Figurez-vous que le résultat lui a tellement plus que, lors des futures reprises, il ne reviendra pas sur ce choix ! »

Le sujet de Peter Grimes, en répétition depuis quelques semaines, arrive sur le tapis. Même sans coronavirus, le premier succès de Britten est un ouvrage extrêmement lourd à produire, surtout quand on en confie la réalisation à une metteuse en scène aussi perfectionniste que Deborah Warner. « Oui, Peter Grimes n’est pas l’opéra du répertoire le plus facile à monter, avoue Joan Matabosch. Mais je n’ai jamais eu l’intention de repousser cette nouvelle production à une saison future. Le plus dur a été de faire entrer les chanteurs, pour la plupart britanniques, en Espagne. Entre le Covid-19 et le Brexit, tout est devenu très compliqué pour les ressortissants du Royaume-Uni, lorsqu’ils veulent franchir la frontière pour aller travailler ! Par chance, ils y sont tous parvenus et les répétitions avancent. Simplement, en raison de l’arrivée tardive de certains, nous avons dû décaler la première de cinq jours, du 8 au 13 avril. Un changement qui nous a causé quelques soucis, là encore, mais rien d’insurmontable. Je vous le répète, si nous ne nous étions pas montrés à la fois réactifs et adaptables, rien n’aurait été possible, cette saison. Quant à Deborah Warner, même si les contraintes lui compliquent la tâche, elle ne va rien modifier à son projet, dont nous attendons tous beaucoup, après la formidable réussite de Billy Budd, en 2017. »

Alors, le modèle madrilène est-il duplicable ailleurs ? « De nombreux directeurs de théâtre m’ont déjà appelé et m’appellent encore, raconte Ignacio Garcia-Belenguer. Je leur explique la manière dont nous procédons. Mais ensuite, tellement de facteurs entrent en jeu : la réglementation sanitaire en vigueur dans le pays, la région ou la ville concernées, l’état des relations sociales à l’intérieur de la maison, notamment entre direction et syndicats… » Et Joan Matabosch d’enfoncer le clou : « Nous ne voulons surtout pas donner de leçons à quiconque. Il y a très certainement des endroits, où ce que nous faisons est impossible. »

Au Teatro Real, en tout cas, l’heure est à l’optimisme, pour les derniers mois de cette saison 2020-2021. Un optimisme mesuré, car, comme le rappelle Joan Matabosch, « au moindre doute concernant la sécurité sanitaire, nous n’hésiterons pas à fermer ». Mais réel, au vu de l’expérience acquise depuis septembre et des capacités d’adaptation et d’invention déployées, tant par l’équipe de direction que par le comité médical qui la conseille.

RICHARD MARTET

PHOTO : Joan Matabosch et Ignacio Garcia-Belenguer. © TEATRO REAL/JAVIER DEL REAL

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