Salle Gaveau, Grande Salle, 1er mars
Depuis un mois, « L’Instant Lyrique » a pris ses quartiers Salle Gaveau. Après le récital à huis clos de Jessica Pratt, le 6 février, dans la petite Salle Marguerite, retransmis en direct sur YouTube (voir O. M. n° 170 p. 57 de mars 2021), celui réunissant Ambroisine Bré et Stanislas de Barbeyrac s’est donné dans la Grande Salle. Sans public encore, à l’exception d’une poignée de journalistes, pour une diffusion sur France Musique, le 15 mars.
Le programme, essentiellement opératique, nous permet de faire le point sur le répertoire actuel et futur des deux chanteurs français. S’agissant de la mezzo-soprano de 32 ans, encore à l’aube d’une carrière prometteuse, nous sommes heureux de constater que son beau timbre, à la fois riche et sensuel, s’est étoffé. Le rondo final de La Cenerentola, assumé avec panache, en dépit de quelques traits bousculés, prouve qu’elle ferait une Angelina très crédible au théâtre.
Dans le répertoire français, les extraits de La Belle Hélène et La Périchole, rendus avec gourmandise, la qualifient sans hésiter pour tous les rôles d’Hortense Schneider. En revanche, aborder maintenant Charlotte (Werther) et, surtout, Carmen serait prématuré. Dans le duo final du chef-d’œuvre de Bizet, la phrase « Libre elle est née et libre elle mourra ! » souligne ce qui manque encore d’ampleur dans l’aigu et d’assise dans le médium.
Pour Stanislas de Barbeyrac, 37 ans et déjà un beau parcours derrière lui, le constat est inverse. En entendant son laborieux « Dies Bildnis ist bezaubernd schön », à la ligne tortueuse et aux aigus prudents, voire scabreux, on se demande si le ténor ne devrait pas abandonner Tamino (Die Zauberflöte), dans lequel il paraît désormais à l’étroit.
De même, si l’on apprécie qu’une voix si conséquente puisse s’alléger pour aborder l’opérette, le Pâris de Stanislas de Barbeyrac semble précautionneux dans le duo « du rêve » (La Belle Hélène), évoquant un Samson égaré chez Offenbach !
Le répertoire où cet instrument remarquablement robuste peut, aujourd’hui, exprimer tout son potentiel est donc ailleurs, comme le prouvent Werther et Don José (Carmen). Pour le premier, les moyens sont là, avec un air d’entrée délivré avec puissance, puis un duo « du clair de lune » négocié sans chichi, même si l’incarnation mûrira certainement avec l’expérience de la scène.
Pour le second, la familarité est sensiblement plus grande, même si, après un premier essai volontairement sans lendemain, en 2011, les vrais débuts n’auront lieu qu’en mai prochain, à l’Opéra National de Bordeaux. « La fleur que m’avais jetée » ménage une parfaite progression jusqu’au fameux si bémol, attaqué forte puis longuement filé, tandis que le duo final est assumé dans toute sa violence.
Reste à homogénéiser une montée à l’aigu parfois accidentée, et à trouver le juste milieu entre des forte saisissants et d’ineffables pianissimi. Fait encore défaut, en effet, toute une gamme de demi-teintes, dans laquelle excelle, au contraire, sa partenaire.
Avant-goût de la retransmission, Ambroisine Bré et Stanislas de Barbeyrac ont offert, en direct sur Instagram, à l’issue d’une mini-rencontre virtuelle avec le public, un ultime bis : le sublime duo « Nuit d’ivresse et d’extase infinie ! » des Troyens. Les voix fusionnent admirablement et le ténor se montre très à l’aise dans cette tessiture escarpée. À quand Énée en scène ?
Un récital décidément excitant, soutenu par le piano puissant et nuancé de Qiaochu Li.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © EDOUARD BRANE