Salle Garnier, 23 février
L’Opéra de Monte-Carlo aurait dû afficher son premier Comte Ory en mars 2020, au début de la pandémie. C’est finalement un an plus tard, ou presque, qu’auront pu se jouer les quatre représentations. En cette période de culture presque partout à l’arrêt, on ne remerciera jamais assez la principauté de Monaco de faire de la résistance, en proposant de vrais spectacles avec public – dûment limité.
On retrouve, avec bonheur, la fameuse production montée à Zurich, en 2011, par Patrice Caurier et Moshe Leiser, autour de la Comtesse Adèle de Cecilia Bartoli. Comme l’ont très bien écrit nos confrères Monique Barichella, lors de la création (voir O. M. n° 60 p. 73 de mars 2011), puis Pierre Cadars, à la sortie du DVD (voir O. M. n° 94 p. 81 d’avril 2014), cette transposition de l’intrigue dans la France gaulliste du début des années 1960 fonctionne bien.
Cela nous vaut, grâce à une direction d’acteurs au cordeau, une désopilante galerie de personnages : Comte Ory déguisé en curé aveugle, officiant dans une caravane-lupanar ; Isolier, bidasse en folie ; Gouverneur débarquant en jeep – pendant de l’arrivée glorieuse de la Comtesse Adèle en 2 CV !
Renaît ainsi, pour le plus grand plaisir d’un public hilare, toute une France rurale qui aurait pu être photographiée par Robert Doisneau. Et si les enjeux sexuels sont bien là – pour lesquels on nous dispense heureusement de toute distanciation physique ! –, le kitsch et la démesure burlesque permettent de ne jamais verser dans la vulgarité, dans un esprit farcesque entre Boccace et Rabelais.
Moteur de cette reprise, Cecilia Bartoli a su, comme à son habitude, s’entourer d’artistes qu’elle aime, sans pour autant jouer à la star autour de qui tout doit tourner. Ainsi de Jean-Christophe Spinosi qui, s’il a souvent travaillé avec elle, dirige ici, pour la première fois, Les Musiciens du Prince-Monaco. Même si l’Ouverture le voit céder à son péché mignon de brutalité en place d’énergie, il montre ailleurs plus de rigueur et de subtilité, trouvant d’exquises couleurs à l’orchestre, notamment dans le trio du second acte.
Ragonde et Isolier sont les mêmes qu’en 2011. Après trente ans en troupe à Zurich, Liliana Nikiteanu offre un mezzo aux registres désunis, mais sa vis comica fait passer bien des choses. Rebeca Olvera demeure un bouillant Isolier, très crédible physiquement, mais assez mince de timbre et à l’aigu un rien pointu, malgré une virtuosité appréciable.
Pas de quoi faire de l’ombre à la reine de la soirée, une Cecilia Bartoli irrésistible en aristo coincée, travaillée par ses sens. Arrachant la Comtesse Adèle aux habituels sopranos légers, elle lui apporte une chaleur dans le médium et le grave, une gourmandise dans la diction et une vocalisation impeccable. Et si l’aigu, un peu moins facile qu’auparavant, manque parfois d’ampleur et se réfugie désormais uniquement en voix de tête, il est difficile de résister à pareille tornade !
Elle est bien accordée au Comte Ory, délicat et châtié, de Maxim Mironov. Excellent comédien, le ténor russe incarne un Ermite moins lubrique que Javier Camarena, son prédécesseur à Zurich, puis se montre même assez sympathique sous les atours de Sœur Colette. Le français est soigné et, comme on s’y attend, la vocalise brillante, l’aigu semblant, en revanche, moins aisé que d’habitude.
Après avoir été un Don Alfonso idéal, le mois dernier, dans Cosi fan tutte à Milan, Pietro Spagnoli expose davantage ses limites en Raimbaud, notamment dans le grave. Mais la truculence est bien là, tout comme la maîtrise du canto sillabato, en particulier dans un air de bravoure étourdissant.
Le Gouverneur de Nahuel Di Pierro fait de l’effet par la facilité et l’étendue de son instrument au grave sonore, ce qui ferait presque oublier l’imprécision de l’intonation et des coloratures, ainsi que sa mauvaise prononciation. Soulignons l’excellente tenue du Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, qui contribue à la réussite de ce spectacle.
THIERRY GUYENNE
OMC/ALAIN HANEL