Comptes rendus Une suite pour La Voix humaine à Paris
Comptes rendus

Une suite pour La Voix humaine à Paris

09/03/2021

Théâtre des Champs-Élysées, 3 mars

On n’a pas pu entendre Patricia Petibon dans Salome au Théâtre des Champs-Élysées, en novembre dernier, le Covid-19 étant passé par là, mais la chance lui a été donnée, dans le même lieu, d’assurer une autre prise de rôle : celle du personnage baptisé « Elle », l’héroïne esseulée de La Voix humaine. Double prise de rôle, en réalité, puisque Olivier Py, chargé de la mise en scène, a aussi écrit le livret du nouvel opéra de Thierry Escaich (né en 1965) : Point d’orgue, donné, en première mondiale, à la suite du monologue de Poulenc, et fruit d’une commande du TCE, ainsi que des Opéras de Bordeaux, Dijon, Saint-Étienne et Tours.

La Voix humaine a été représentée dans le cadre de différents diptyques, ces derniers temps, mais ici, le propos est tout autre, car Olivier Py a conçu Point d’orgue comme son prolongement. On y retrouve donc Elle, mais on y fait également connaissance avec Lui et avec L’Autre, chantés respectivement par Jean-Sébastien Bou et Cyrille Dubois, qui interviennent en tant que personnages muets dans la « tragédie lyrique » de Poulenc (c’est évidemment à Lui qu’Elle téléphone avec angoisse), afin de nous préparer aux enjeux de ce qui suivra.

Olivier Py réussit à briser le huis clos de La Voix humaine grâce à un décor très habile de Pierre-André Weitz : une chambre logée dans une boîte, noire (le bas du mur, le lit) et rouge (le haut du mur, les rideaux) ; un tableau y est accroché – Ophelia de John Everett Millais (Londres, Tate Britain). En contrebas, une rue où l’on voit d’abord marcher Lui, parapluie et téléphone portable à la main, puis Lui et L’Autre, et, plus tard encore, Lui poursuivi par L’Autre, affublé d’une tête de monstre. La chambre peut pivoter sur elle-même, permettant à Elle de descendre dans la rue.

Autre écueil judicieusement évité, celui de l’objet-téléphone, remplacé ici par un ordinateur que Patricia Petibon allume dès son entrée en scène et qui lui permet d’être libre de ses mouvements. Tour à tour affolée, mélancolique, féline, hystérique, la soprano française compose un personnage toujours surprenant, qui donne un nouveau dynamisme à un ouvrage qu’on peut trouver statique et répétitif.

Point d’orgue, paradoxalement, surprend moins si l’on connaît un peu Olivier Py. Le librettiste se livre ici à ses démons familiers : le travestissement, les rapports de domination, l’interrogation du néant. Lui et L’Autre forment ainsi une espèce de couple faustien : le premier est un compositeur qui n’arrive pas à composer ; le second est à la fois un amant, un double, et un bourreau.

Tout commence dans la salle de bains, ajoutée, côté cour, au dispositif de La Voix humaine (un couloir en perspective a été ménagé, côté jardin). Lui émerge d’une saoulerie et retrouve L’Autre, qui lui inflige une séance d’humiliation : « Tu supportes mes gifles, tu aimes mes crachats/Tu es mon tendre amour, une merde sans nom. (…) Si tu n’as plus d’argent, moi je fais ma valise. »

Le livret est, en grande partie, écrit en dodécasyllabes blancs, mais il ressemble davantage à une pièce intense qu’à un livret d’opéra ; il lui manque la concision et l’efficacité dramatique, et les nombreuses intentions dont il est tissé se perdent à l’audition.

Précisons toutefois que le Point d’orgue d’Olivier Py est, à l’origine, une trilogie, dont les volets successifs s’intitulent « Purgatoire », « Enfer » et « Paradis ». Thierry Escaich n’a mis en musique qu le premier, en lui attribuant le titre du cycle, qu’on peut lire à la fois comme une allusion à sa carrière d’organiste ou comme un synonyme de temps suspendu.

Scéniquement, les personnages masculins sont fort bien représentés : Jean-Sébastien Bou, en compositeur souffreteux et désespéré, et Cyrille Dubois, en Méphisto de cabaret qui s’en donne à cœur joie. On retrouve avec plaisir la voix de baryton chaleureuse du premier, et l’on découvre chez le second, souvent distribué dans des rôles élégiaques, un comique inquiétant et déchaîné.

Le personnage venu de La Voix humaine est moins gâté. N’intervenant qu’à partir du milieu de l’ouvrage, Elle se cantonne au registre attristé qui va vers la rédemption : « J’ai découvert la joie au profond du malheur. » Ses derniers mots sont, tout simplement : « Adieu, mon amour. »

La musique de Thierry Escaich est véhémente, plus lyrique que celle de Claude, son premier opéra (Lyon, 2013), et richement orchestrée. Les voix ne sont pas mises à la torture et certaines intentions sont, d’ailleurs, franchement parodiques, notamment dans l’écriture vocale de L’Autre. Le lien avec Poulenc, toutefois, tient avant tout au sujet, ainsi qu’à la composition de l’orchestre, la même dans les deux ouvrages, avec un clavecin supplémentaire pour Point d’orgue – d’ailleurs sous-utilisé.

Nous avons assisté, au Théâtre des Champs-Élysées, à une répétition générale très aboutie. Tous les interprètes ont travaillé avec ardeur, mais les conditions sanitaires obligent les instrumentistes à occuper les premiers rangs du parterre, dont on a enlevé les fauteuils. Malgré la souplesse et la précision de la direction musicale de Jérémie Rhorer, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine tend parfois à couvrir les voix.

Défaut mineur, cependant, pour un spectacle uniquement destiné, pour l’instant, à une retransmission via les ondes radiophoniques et les écrans. Diffusé sur France Musique, le 27 mars, et disponible, pendant un an, sur www.francemusique.fr, le diptyque sera visible, à partir de mai, sur le site du TCE.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO © VINCENT PONTET

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