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Comptes rendus

Titon à Paris : à voir d’urgence !

01/02/2021

Salle Favart, 19 janvier

Créé avec succès, le 9 janvier 1753, alors que fait rage la querelle des Bouffons – sans doute parce que Mondonville, ainsi que l’écrit Jacques Cazotte dans La Guerre de l’Opéra, « n’a point d’ennemis, et des amis même parmi ses rivaux » –, Titon et l’Aurore n’en aura pas moins connu une longue éclipse, pour ne revoir d’ailleurs le jour qu’en concert et au disque, voici deux décennies, sous la direction de Marc Minkowski.

Grâces soient donc rendues à l’Opéra-Comique et Château de Versailles Spectacles d’avoir joint leurs efforts, plutôt que de s’incliner devant les obstacles dressés par notre triste époque, pour porter à la scène ce parangon de « pastorale héroïque », qui mérite bel et bien de sortir de l’ombre des chefs-d’œuvre dramatiques de Rameau, et de faire entendre la voix singulière, et hautement mélodieuse, de son auteur.

À la complexité de son illustre aîné, Mondonville répond par une écriture d’une virtuosité décomplexée, à même de transcender, par le plaisir sans mélange qu’elle procure, une intrigue dénuée d’enjeu théâtral, typique d’un genre censément tombé en désuétude, et à goûter le cœur léger.

Le privilège, accordé à une poignée de critiques, de retrouver, dans les rouges et ors de la Salle Favart, la vraie saveur du spectacle vivant, trop souvent rendu rébarbatif par le filtre de l’écran, incite-t-il à l’indulgence ? N’aurions-nous pas, en d’autres temps, que ces interminables mois de disette culturelle vont finir par rendre lointains, jugé le spectacle conçu par Basil Twist à coups de qualificatifs peu amènes ?

À tort d’ailleurs, car sous son vernis parfois kitsch, l’imaginaire du marionnettiste américain est tout sauf prisonnier de son apparente naïveté. À force de fantaisie, de second degré aussi, le charme opère : voyez cette foison de moutons, adorables créatures frétillant au chant de l’Aurore, ou folâtrant dans les airs, s’animer comme par magie sous nos regards d’enfants !

Le costume, souvent, suffit à donner vie à des personnages pétris de convention – Éole, dieu des Vents, précédé et suivi de voiles virevoltants, à la manière de Loïe Fuller, et, mieux encore, Palès, déesse des Bergers, cornue et flanquée de deux béliers échappés d’un nuage de laine, inspiré de la brume qui, à San Francisco, d’où le metteur en scène est originaire, « dévale des collines vers la mer ». Pourquoi, dans ces conditions, vouloir faire de Titon et l’Aurore autre chose qu’un joli divertissement, et chercher dans la « pastorale » des réponses tristement anachroniques à des questions qu’elle ne pose pas ?

D’autant que l’énergie insufflée par William Christie à son ensemble Les Arts Florissants invite à la pure jubilation – celle-là même que cette satanée crise sanitaire, en rompant la routine de l’enchaînement inexorable des productions, a permis, peut-être, de raviver. Si certains traits patinent avant le lever du rideau, l’orchestre reprend l’Ouverture toutes voiles dehors, à l’issue du Prologue, et se saisit de la partition avec une insatiable gourmandise. Allègrement affranchie de la frontière dressée entre la France et l’Italie par un débat esthétique dont la virulence dépassa, sans doute, la pertinence, la palette de Mondonville éclabousse par sa vivacité, autant qu’elle surprend par sa sombre étrangeté.

Pas plus qu’aux instrumentistes, le compositeur ne laisse de répit aux chanteurs. Renato Dolcini et Marc Mauillon se partagent ainsi les deux rôles créés par Claude-Louis-Dominique de Chassé, pilier de l’Académie Royale de Musique pendant trente-cinq ans. Le premier apparaît sous-dimensionné en Prométhée, qui porte certes la moitié du Prologue sur ses épaules.

Ni ténor, ni baryton, le second possède un ambitus suffisamment étendu pour s’illustrer dans l’une et l’autre tessiture. Et un verbe supérieurement incisif, qui confère à la jalouse fureur d’Éole un impact certain. La question de l’adéquation se pose pourtant : bien que les caractères évidemment diffèrent, accepterait-on que Thésée dans Hippolyte et Aricie, cheval de bataille de son glorieux aîné, soit pourvu d’un timbre aussi vert ?

Emmanuelle de Negri réussit, en revanche, sa mue en rivale courroucée, élevant Palès au rang de grande héroïne outragée, avec ce qu’il faut d’autodérision, quand claquent, sifflent, ou chuintent les consonnes, pour en révéler la dimension parodique. Incarnant un Amour délicieusement mutin, Julie Roset partage le statut de découverte avec Gwendoline Blondeel, dont l’Aurore, sans mièvrerie, ni maniérisme, ravit par un soprano tout en fraîcheur et ductilité.

Comme peu d’autres avant lui, au cours du demi-siècle qui a vu renaître le répertoire de la haute-contre à la française, Reinoud Van Mechelen allie délicatesse et vaillance, entraînant Titon, sans le moindre effort, vers un registre supérieur dont la franchise n’altère pas un instant l’infinie séduction.

À voir et écouter d’urgence, donc (en replay sur medici.tv, jusqu’au 19 avril 2021), en attendant que l’Opéra Royal de Versailles reprenne la production, dans ce monde d’après où il sera à nouveau possible d’applaudir des artistes en chair et en os – nous avons eu cette chance, cela fait un bien fou !

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © STEFAN BRION

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