Maison de Radio France, Studio 104, 6 janvier
Artiste en résidence à Radio France, cette saison, pour trois rendez-vous très différents, la soprano et cheffe d’orchestre canadienne Barbara Hannigan a présenté, les 6 et 7 janvier, son deuxième programme.
On sait que le rôle d’« Elle », abordé à l’Opéra National de Paris, en 2015, puis repris, trois ans plus tard, dans l’étonnant diptyque Le Château de Barbe-Bleue/La Voix humaine, imaginé par Krzysztof Warlikowski, a constitué une étape importante de la carrière de Barbara Hannigan. Elle a donc souhaité redonner La Voix humaine, mais cette fois en la dirigeant, tout en chantant : un défi que l’artiste a l’habitude de relever dans toutes sortes de répertoires, mais qui se révèle particulièrement périlleux ici.
La soirée, conçue comme un « ensemble dramaturgique », s’ouvre avec Metamorphosen (Métamorphoses), pièce que Richard Strauss termina en 1945 sur les ruines d’une Allemagne dévastée. Pas sûr que ce soit le meilleur complément possible à l’œuvre de Poulenc, tant ce vaste Adagio pour instruments à cordes tranche avec le discours morcelé et hystérique qui suit.
On se souvient de Mireille Delunsch, à l’Opéra National de Bordeaux, en 2007, se mettant en scène dans le même monologue, en le faisant précéder de la cantate La Mort de Cléopâtre de Berlioz, comme si cet enchaînement représentait le retour à la vie réelle d’une cantatrice, revenue dans sa loge après une performance tragique.
Ici, l’on joue aussi sur la « mise en abyme », mais il s’agit cette fois, nous explique la note d’intention, d’une « [Elle] prise dans son propre fantasme, diriger un orchestre » – un concept s’appuyant sur une vidéo réalisée par Denis Guéguin, collaborateur régulier de Krzysztof Warlikowski, et projetée sur un grand écran, où se mêlent images en direct et film pré-enregistré.
Cela nous vaut des gros plans de Barbara Hannigan affublée d’une perruque rose, ou dédoublée, voire déformée… Métamorphoses d’une artiste qui sont comme des échos, nous dit-on encore, de notre propre confrontation aux « problèmes tels que le vieillissement, la détérioration, la décadence, la perte et la désintégration ».
On laissera à chacun le soin de juger de la pertinence du projet dramaturgique, cette soirée, donnée devant un auditoire plus que restreint, ayant fait l’objet d’une captation sonore et visuelle. Mais force est de constater qu’ainsi reliées entre elles, en un rapprochement assez artificiel, les deux œuvres n’en sortent pas forcément grandies.
Reste la performance d’une artiste très à l’aise sur son podium, étonnante de naturel et de rayonnement dans son double rôle, cheffe aussi compétente que rigoureuse et sensible, et actrice engagée. La chanteuse montre, cependant, quelques limites dans une partition trop large et centrale pour sa voix légère ; et, si les montées à l’aigu sont spectaculaires (fulgurant contre-ut sur « Je devenais folle ! »), le médium manque souvent de corps, surtout quand l’Orchestre Philharmonique de Radio France joue fortissimo. La prononciation, teintée d’un léger accent non sans charme, n’est pas toujours assez mordante : plus d’une fois, le texte de Cocteau se perd.
Cela avait déjà été notre impression au Palais Garnier, mais alors, totalement libre de son corps, l’actrice convainquait entièrement, semblant capable de tout faire, tout en chantant parfaitement en rythme, et parvenant, par sa seule façon de traverser la scène, à justifier le passage de Bartok à Poulenc. Ici, la gestuelle, forcément plus limitée, paraît assez sage.
S’il est pourtant une métaphore qui nous a paru soudain émerger, c’est celle des nouvelles modalités imposées par la crise sanitaire au spectacle vivant : ce téléphone, dont la distance permet toutes les trahisons, n’est-ce pas aussi le drame d’un concert donné à huis clos et réduit à être mis en boîte pour parvenir à son public, à travers micros et écrans ?
Ce concert sera diffusé le 30 janvier sur France Musique.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © RADIO FRANCE/CHRISTOPHE ABRAMOWITZ