Comptes rendus Otello dépressif à Florence
Comptes rendus

Otello dépressif à Florence

19/12/2020

Teatro del Maggio/RAI 5, 30 novembre

Initialement à l’affiche du « Festival del Maggio Musicale Fiorentino », au printemps dernier, cette nouvelle production d’Otello n’avait pas échappé à la vague d’annulations entraînée par la pandémie. Alexander Pereira a tout mis en œuvre pour qu’elle voie le jour lors d’une unique représentation, jouée à huis clos, le lundi 30 novembre, grâce au soutien d’un mécène français et de RAI 5, qui a retransmis l’événement en direct.

Mais le streaming n’est pas l’avenir de l’opéra, avertit le directeur de la maison florentine. Et pas seulement pour des raisons financières, pourrait-on ajouter, quand on songe aux retransmissions récentes : la caméra, seule alternative à l’annulation des spectacles, n’en est pas moins un amplificateur de leurs défauts. Cet Otello – dont certains ont jugé le budget pharaonique – ne fait pas exception.

D’abord, à cause de la réalisation télévisée, indifférente au rythme de la narration, avec des plans maladroits et un montage erratique. Ensuite, en raison de la mise en scène, souffrant d’un statisme pesant et d’une direction d’acteurs anecdotique.

Valerio Binasco surfe sur la vague du psychologisme, retirant au « superbo guerrier » toute trace de vaillance : exit le volcan en éruption, voici un être à bout de forces, qu’un mauvais conseiller mène par le bout du nez. Pas même un héros en clair-obscur, plutôt un anti-héros post-moderne.

Tout ce qui fait d’Otello un étranger est effacé, jusqu’à sa couleur de peau. Semblable à tout le monde, il est dépassé par l’histoire, à l’image de cette cuirasse médiévale qu’il porte lors de son entrée, dans un quartier contemporain ravagé par la guerre.

Impuissant face aux violences de ses troupes sur un prisonnier, obéissant au moindre signe de Iago, giflé par Desdemona après une crise de jalousie, adossé à un mur ou assis sur une chaise, la tête dans ses mains, proche de s’effondrer, le lion rugissant laisse la place au taureau à l’agonie.

On ne saurait dissocier le spleen de cet Otello dépressif de l’incarnation qu’en donne Fabio Sartori, lui qui n’a visiblement pas dans ses cordes les élans de fureur tragique. Pourtant, le ténor italien fait preuve d’une solidité et d’une générosité sans relâche, négociant toutes les difficultés avec les moyens qui sont les siens, pas forcément ceux d’un grand drammatico.

Voix endurante à l’émission sûre, au médium charnu et aux aigus solides, ce protagoniste discret assume de se départir des références illustres – y compris celle de Placido Domingo, avec qui il a peaufiné le rôle, quelques semaines avant ses débuts. Il ne cherche pas à assombrir artificiellement, ce qui confère à sa performance le ton de l’authenticité.

À ses côtés, la voix veloutée de Marina Rebeka, sa palette expressive, son incarnation fouillée font merveille. Une certaine retenue voudrait dompter sa personnalité, plus conforme aux grands rôles de prima donna : sans angélisme et sans pathos, une Desdemona émancipée, jusque dans le sacrifice de sa vie. Et, bien que la soprano lettone n’affiche pas sa meilleure forme (des graves poitrinés, quelques fêlures dans les mezze voci), elle déploie des trésors de tendresse et de sensualité, la rondeur du timbre, l’art du legato, l’investissement dramatique donnant des frissons.

Faute de mise en scène suffisamment forte, c’est le jeu superlatif de Luca Salsi qui fait vivre le drame. Son Iago subtil en est le véritable démiurge, grâce à une diction hors pair qui cisèle l’intention de chaque mot. Si les comprimari sont honorables, le chœur est malheureusement desservi par le port des masques.

Quelques réserves, enfin, sur la direction musicale de Zubin Mehta, qui privilégie une approche inhabituellement froide et analytique. Certes, sa baguette mesurée est gage d’un équilibre souverain, exaltant tout en finesse les couleurs de la partition. Mais cette précision implacable entraîne des tempi étrangement lents, surtout au I, privé de fièvre et de sensualité.

PAOLO PIRO

PHOTO © MICHELE MONASTA

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