Comptes rendus Tristes Noces à Vienne
Comptes rendus

Tristes Noces à Vienne

18/12/2020

Theater an der Wien/Fidelio, 29 novembre

A-t-on jamais vu mise en scène plus sinistre des Nozze di Figaro que celle montée, en pleine seconde vague de Covid-19, par Alfred Dorfer, figure de la télévision autrichienne, et Kateryna Sokolova, dont le secours lui a certainement été adjoint pour pallier l’inexpérience de son binôme ?

Passablement dépressif, un Comte Almaviva post-#MeToo traîne son désarroi de prédateur sexuel condamné à l’abstinence dans une demeure délabrée, où l’absence quasi totale de mobilier semble témoigner du récent passage d’huissiers… La « folle journée » mozartienne s’en trouve absolument privée de ressort, de raison d’être, même : on ne sait ni qui sont censées être toutes ces personnes, ni pourquoi elles sont ici rassemblées. Circulez, il n’y a rien à voir !

Sans doute y a-t-il un peu plus à écouter. Et d’abord l’orchestre, où bat le cœur de l’opéra. Sous la direction de Stefan Gottfried, qu’il ne devrait plus être utile, à force, de présenter comme le successeur du regretté Nikolaus Harnoncourt, le Concentus Musicus Wien est gorgé de sève, de couleurs, de vie, en somme, avec ses basses d’une imagination inouïe.

La stricte mise en place laisse, en revanche, plus d’une fois à désirer – et pas nécessairement dans les ensembles, qui sont un redoutable test en la matière. Les conditions particulières dans lesquelles le spectacle – capté à huis clos et diffusé sur la plateforme de streaming Fidelio – a été répété, n’y sont probablement pas pour rien…

Quant au plateau vocal, il se cherche une cohésion, peut-être aussi un retour du public, désespérément absent – on ne se fera décidément jamais au silence, au moment des saluts. Le Figaro bien connu de Robert Gleadow est tel qu’en lui-même, rocailleux, fruste, un rien négligent parfois, mais d’une énergie brute absolument irrésistible.

Giulia Semenzato lui oppose une Susanna d’une incomparable fraîcheur, ce qui n’exclut pas la chaleur d’un timbre floral et d’une ligne soignée. Patricia Nolz a tout pour faire un Cherubino idéal, jeune, donc, tandis que le couple formé par Enkelejda Shkosa, Marcellina privée de son air, et Maurizio Muraro, Bartolo imposant, ne déroge pas à la tradition.

Cristina Pasaroiu a fort belle allure assurément, et un instrument d’un velours enviable, mais il manque encore à sa Comtesse la maîtrise du souffle, qui lui éviterait d’achopper sur les attaques de « Porgi, amor » et les phrases montantes de « Dove sono ». Artiste considérable, et chez lui sur la scène du Theater an der Wien, où il a multiplié, ces dernières saisons, les prises de rôles marquantes, Florian Boesch ne paraît ni dans son élément, ni dans son assiette – et coiffé, de surcroît, d’une méchante perruque.

Est-ce cette conception neurasthénique du Comte qui bride sa formidable énergie ? On l’imaginait carnassier, le voilà absent, et son chant s’en ressent, qui perd l’accroche du son, esquisse plus qu’il ne trace, comme un moteur en sous-régime. Sale temps, décidément…

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MORITZ SCHELL

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