Teatro Costanzi/RAI 3, 5 décembre
Pas de public, aucun décor, des musiciens d’orchestre portant presque tous un masque, des interprètes gardant leurs distances… et pourtant, la magie du théâtre opère à tout moment dans cette nouvelle production du Teatro dell’Opera de Rome, filmée et retransmise en direct dans des conditions pour le moins inhabituelles.
Il barbiere di Siviglia connaîtrait-il le remède miracle contre le Covid-19 ? On pourrait presque le penser, au vu de ces deux actes qui, à partir de contraintes innombrables, ont su dégager une force nouvelle. À croire que le virus ambiant a dopé l’imagination de Mario Martone et de tous ceux qui l’accompagnent dans cette aventure.
Un air de liberté circule d’une scène à l’autre, même si c’est une salle vide qui est censée représenter la demeure de Bartolo. Les filins quadrillant le parterre, où se déroule une partie de l’action, laissent comprendre dans quelle prison est enfermée Rosina. À la fin, chanteurs et techniciens vont cisailler à qui mieux mieux cette toile d’araignée, en laissant entrevoir un monde sans pandémie.
Si l’on est constamment séduit par l’ingéniosité de cette approche, c’est aussi parce que chaque interprète est dirigé avec la plus vive pertinence. Vêtus de costumes traditionnels, on reconnaît bien tous les personnages, avec, pour seule entorse à la tradition, Bartolo qui ne se déplace que sur une chaise roulante.
Sous nos yeux, tandis que se poursuit la représentation, des costumières viennent achever leur ouvrage. En coulisse, un technicien met au point les bruitages accompagnant l’orage. On n’en finirait pas de noter les astuces multiples qui apportent la respiration nécessaire à ce jeu en vase clos.
Seule exception à ce confinement, Figaro attaque son air d’entrée à l’extérieur du théâtre, en parcourant, à l’arrière d’une moto, les rues et les places de Rome. Au finale du premier acte, quelques actualités anciennes évoquent brièvement le souvenir d’une soirée de gala, en présence de célébrités de l’époque : Maria Callas, Gina Lollobrigida, Anna Magnani… Nostalgie d’un temps révolu ?
Par chance, les qualités proprement musicales sont bien là. La direction de Daniele Gatti apporte la légèreté, le rythme alerte qu’appelle l’« opera buffa ». Dans le rôle de Figaro, Andrzej Filonczyk s’impose avec aplomb. Le baryton polonais respire la joie de vivre et, l’œil malicieux, la voix gorgée de soleil, il mène tambour battant ses intrigues.
La mezzo russe Vasilisa Berzhanskaya lui répond avec des atouts comparables, Rosina spirituelle, malicieuse, triomphant sans peine des embûches que lui réserve la partition. Un peu gêné dans sa cavatine d’entrée, son compatriote Ruzil Gatin prend vite de l’assurance et compose un Almaviva, sinon exceptionnel, du moins fort agréable.
Que dire, enfin, du métier infaillible d’Alessandro Corbelli et d’Alex Esposito qui, avec un bonheur vocal constant, parviennent même à nous en apprendre un peu plus sur des personnages, Bartolo et Basilio, dont on croyait déjà tout savoir ?
Ce spectacle prouve, en tout cas, qu’avec beaucoup d’astuce, de l’intelligence, bien sûr, et l’utilisation ingénieuse des moyens du bord, un opéra connu entre tous résiste à l’usure du temps et, mieux encore, parvient à se rire d’une actualité déprimante.
PIERRE CADARS
PHOTO © OPERA DI ROMA/YASUKO KAGEYAMA