Grimaldi Forum, 5 décembre
L’âge de la retraite n’a toujours pas sonné pour le légendaire Placido Domingo qui, malgré les obstacles, poursuit sa carrière phénoménale et sans équivalent dans l’histoire du chant. Enrichi par de nouveaux emplois puisés dans le vivier des barytons, son répertoire tourne désormais, presque exclusivement, autour de Verdi.
Le rôle de Francesco Foscari, l’un de ceux qu’il fréquente le plus régulièrement, convient idéalement à ses moyens actuels ; une écriture centrale, sans aigus intempestifs ou hors de portée, un personnage noble de doge usé et de père affligé, parfaitement calibré, où il est difficile de ne pas trouver quelques similitudes entre ce vieillard qui sent encore son être palpiter et cet artiste toujours en activité qui défie la nature.
Au Grimaldi Forum, le chanteur espagnol s’est, une nouvelle fois, montré à la hauteur de son mythe, avec une voix claire et stable qui tient toutes ses promesses, jusqu’au convulsif « Mio figlio ! » final. Placido Domingo se glisse avec délectation dans les plis de ce personnage éminemment verdien, confronté à un double drame politique et familial. Contraint, malgré son opposition à Jacopo Loredano, l’ennemi juré, à voir s’exiler son fils, l’interprète, tel le chêne de la fable, tente de résister, avant de plier et de rompre.
La direction de l’Opéra de Monte-Carlo n’a pas hésité à recréer le trio formé à la Scala de Milan, en 2016 (DVD Cmajor), où Domingo était entouré de Francesco Meli et d’Anna Pirozzi. Raide et crispée, en cette soirée du 5 décembre, la voix du ténor italien peine à faire briller la ligne de chant de Jacopo Foscari ; malgré quelques nuances dans son premier air « Dal più remoto esilio », il recourt rapidement à de douloureux expédients qui affligent son émission.
Anna Pirozzi affiche, au contraire, un chant glorieux et une présence éclatante qui font tout le prix de sa Lucrezia Contarini. Si la soprano italienne impressionne par son volume vocal, le tranchant de ses aigus et l’énergie qu’elle dégage dans les ensembles, c’est que sa technique lui permet aussi de ne jamais baisser la garde dans les moments de pure virtuosité. Quel dommage d’avoir amputé la cabalette « O patrizi… » pour gagner quelques minutes, lorsque l’on a sous la main une chanteuse pareille !
Dans le rôle de Jacopo Loredano, Alexander Vinogradov fait valoir son beau timbre de basse. Excellents, les Barbarigo et Pisana de Giuseppe Tommaso et d’Erika Beretti, tout comme le puissant Chœur de l’Opéra.
À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, Massimo Zanetti dirige cette œuvre de jeunesse impétueuse, qui préfigure Simon Boccanegra, avec ce qu’il faut d’éclat et de profondeur, restituant dans un même élan l’audace d’un style, la pulsation dramatique et la vision d’ensemble qui marqueront à jamais le legs verdien.
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO © OMC/ALAIN HANEL