Stavros Niarchos Hall/GNO TV,16 octobre
Filmée le 16 octobre, et visible en replay sur la propre chaîne du Greek National Opera (GNO) depuis le 25 novembre, cette production de Madama Butterfly fait appel, pour cause d’effectif allégé en fosse, à une réduction de la partition due au grand chef et compositeur argentin Ettore [Hector] Panizza (1875-1967).
Si la texture instrumentale paraît, en début de spectacle, manquer un peu de liant et d’ampleur, créant un curieux déséquilibre avec des voix qui semblent, paradoxalement, en retrait, l’oreille s’y habitue vite. Et la réduction n’empêche pas Lukas Karytinos, à la tête de l’orchestre du GNO, de faire briller la splendide musique de Puccini et de lui donner la force dramatique souhaitable.
Pour l’immense plateau du Stavros Niarchos Hall, le metteur en scène-décorateur-costumier Hugo de Ana a conçu une scénographie stylisée, lui permettant de se focaliser sur les tableaux d’intimité par des jeux de lumière et des panneaux coulissants. En fond, de grands ciels marins contribuent à créer les différents climats d’un acte à l’autre et renforcent l’idée de la solitude de l’héroïne.
L’utilisation de la vidéo, pendant le prélude de l’acte III, mêle, dans un tohu-bohu très réussi, le cuirassé de Pinkerton, voguant sur une mer d’estampe japonaise, aux réminiscences de scènes antérieures et aux fantasmes américains de Cio-Cio-San, tandis qu’en transparence, le Bonze, Yamadori, Goro et un esprit maléfique, tous costumés comme d’authentiques figures du théâtre kabuki, viennent hanter l’esprit de l’héroïne.
La vision assez traditionnelle de Hugo de Ana insiste sur la trivialité des motivations de Pinkerton, toujours prêt à sortir ses dollars comme un vulgaire touriste sexuel, face à l’idéalisme aveugle et obstiné de Cio-Cio-San. Le seppuku final, mis en scène sur un plateau quasiment nu, avec, en fond, un soleil rouge, impressionne par sa violence implacable.
Ermonela Jaho offre à l’héroïne son timbre corsé et sa fine silhouette, assumant ce rôle écrasant avec une conviction théâtrale et une robustesse vocale à toute épreuve. Le Pinkerton de Gianluca Terranova, à l’aigu aisé, paraît cependant sans charme véritable, une impression sans doute renforcée par le portrait peu flatteur qu’en dresse la mise en scène.
Le mezzo coloré et profond de Chrysanthi Spitadi donne à Suzuki une belle présence. Il en va de même du baryton chaleureux de Dionysios Sourbis, qui campe un Sharpless bienveillant et paternel, malgré sa jeunesse.
Des seconds rôles très réussis complètent la distribution de cette Madama Butterfly de répertoire certes, mais assez prenante et subtilement réinterprétée.
ALFRED CARON
PHOTO © VALERIA ISAEVA