Teatro Costanzi, 16 octobre
Quand le public pénètre dans une salle d’opéra, le rideau est soit fermé, soit ouvert pour révéler un décor préalablement installé. Cette fois, on a l’impression que personnels d’entretien, ouvriers et techniciens sont encore au travail : les premiers armés de serpillères et d’aspirateurs ; les seconds, en bleu de travail et casque de protection, occupés à discuter de l’aménagement de l’espace en fond de plateau. Qu’y a-t-il à construire sur ce chantier ? La Zaide de Mozart, bien sûr.
Mozart, qui avait entamé l’écriture de ce « Singspiel » à Salzbourg, en 1779-1780, ne l’a jamais terminé, occupé qu’il était par la composition d’Idomeneo (Munich, 29 janvier 1781). Quinze numéros musicaux, seulement, sont parvenus jusqu’à nous ; le finale a été perdu, et l’on n’est même pas complètement certain de l’ordre des morceaux, au point de rendre parfois l’action incompréhensible.
Zaide, qui vit dans le sérail du sultan Soliman, est tombée amoureuse de Gomatz, réduit en esclavage. Les jeunes gens décident de s’enfuir avec l’aide du favori Allazim, mais, victimes d’une trahison, ils sont conduits devant Soliman, qui refuse de leur faire grâce. Là s’arrête ce que nous connaissons de Zaide, mais on peut penser que Mozart et son librettiste, Johann Andreas Schachtner, avaient prévu une fin heureuse.
En 1981, Graham Vick, alors membre d’un collectif de jeunes artistes, demande au célèbre écrivain Italo Calvino de reconstruire Zaide à partir des fragments subsistants, en imaginant un tissu narratif susceptible de redonner un peu de cohérence à l’intrigue. Cette nouvelle version – qui suggère que Gomatz et Zaide sont peut-être frère et sœur, et que le véritable amant de l’héroïne serait Allazim – est créée au Festival de Batignano.
Près de quarante ans plus tard, le metteur en scène britannique a accepté, pour le Teatro dell’Opera de Rome, de la remettre sur le métier. Le chantier découvert par les spectateurs, à leur entrée dans la salle, devient métaphore à la fois de l’inachèvement de l’ouvrage et de l’incertitude dans laquelle les théâtres sont aujourd’hui plongés (sans la crise sanitaire, c’est The Rake’s Progress, et non Zaide, qui aurait dû occuper l’affiche).
Disposant de peu de moyens, Graham Vick illustre les différentes atmosphères du livret, avec le concours de quelques éléments de décor et d’intelligents jeux de lumière. Même le côté « sexy » attaché à l’imaginaire du sérail est habilement évoqué, avec ce bain de Zaide vu en ombres chinoises, devant des images d’eau cascadante.
Sous la baguette de Daniele Gatti, tous les chanteurs sont à la hauteur de l’enjeu, à commencer par la soprano Chen Reiss qui, dans le rôle-titre, hérite de deux redoutables morceaux de bravoure : « Ruhe sanft, mein holdes Leben », puis «Tiger ! wetze nur die Klauen ». Si le baryton Markus Werba incarne un élégant Allazim, Paul Nilon joue de son charisme scénique en Soliman, et l’autre ténor, Juan Francisco Gatell, campe un valeureux Gomatz, à la silhouette plus musclée que sa voix.
La figure du Narrateur, inventée par Italo Calvino, mérite un discours à part. Car elle dépasse le cadre de la pure « narration », le personnage s’affirmant comme un authentique démiurge, qui déconstruit et reconstruit l’intrigue, qui dispose de la vie et du destin des héros. Dommage que l’acteur Remo Girone l’aborde sans la « légèreté » voulue par l’écrivain ; elle l’aurait empêché de s’enfermer dans l’aspect verbeux d’une écriture plus littéraire que théâtrale.
GIOVANNI D’ALÒ
PHOTO © OPERA DI ROMA/YASUKO KAGEYAMA