Theater Basel, 15 octobre
Pour cette création en Suisse de Saint François d’Assise, il était prévu une utilisation inhabituelle du Théâtre de Bâle (Theater Basel), le délire architectural signé par le scénographe hongrois Marton Agh requérant, en effet, la suppression de nombreux fauteuils d’orchestre et restreignant le confort visuel de plusieurs secteurs des balcons. Ceci du fait de l’encombrement de la salle par un grand nombre de passerelles, feux de signalisation, affiches publicitaires, panneaux indicateurs d’autoroute, et même un monumental pylône de ligne à haute tension, construit en plein milieu du parterre !
Que la réduction du nombre de places qui en découle se retrouve aggravée par les précautions sanitaires du moment, n’avait, en revanche, pas été anticipé. Le concept initial d’englober la plupart des spectateurs au milieu de l’action, ou du moins au plus près des chanteurs, a cependant pu être respecté, mais pour encore moins de monde que prévu. Une immersion de toute façon refusée aux journalistes présents, relégués pour la plupart au dernier balcon, et donc priés d’observer l’ensemble de haut.
Le point de vue, même éloigné, reste impressionnant, avec un décor de centre commercial typique des ex-villes nouvelles de la Région Île-de-France. À l’issue d’on ne sait quelle catastrophe, l’ensemble a été dévasté, abandonné à des SDF campant entre les flaques d’eau d’un parking au sol défoncé. La moitié gauche du plateau est réservée à l’orchestre, la moitié droite à un autre pylône, ce qui laisse peu de surfaces de jeu disponibles, même en utilisant de temps à autre les praticables qui traversent le parterre.
Un déficit en mètres carrés peu gênant, puisqu’il ne se passe pas grand-chose dans la mise en scène de Benedikt von Peter, sinon le quotidien des sans-abri : tambouilles précaires, couchages entre des amoncellements d’ordures et parties de ballon improvisées au milieu des flaques. Une atmosphère de fin du monde beckettienne, au sein d’une petite communauté crasseuse, de laquelle la silhouette de François, vagabond d’exception, est censée émerger avec une aura particulière. Celle d’un illuminé dérisoire, épris de transcendance, qui s’obstine à accrocher partout, sur les fils à haute tension reliant les pylônes, des oiseaux de papier pliés en origami.
Difficile de se passionner durablement pour ces variations autour d’un « trash » décliné ad nauseam, surtout à une distance empêchant de bien voir les physionomies. Après l’entracte, la lente agonie suicidaire de François prend davantage de relief, d’un pathétique renforcé par un contexte aussi rude. Chute finale du saint sur un tas d’ordures, avant que l’Ange revienne, en guise d’apothéose, recouvrir le corps de quelques oiseaux de papier.
Annoncé sur les avant-programmes comme un « projet mammouth », ce Saint François d’Assise a subi un violent régime amaigrissant pour rester compatible avec les actuels critères de distanciation. En moins de quatre mois, le compositeur franco-argentin Oscar Strasnoy a réduit les mille cinq cents pages de la partition pour une quarantaine de musiciens seulement. Donc, deux flûtes au lieu de sept, deux cors au lieu de six, deux contrebasses au lieu de dix, etc.
Les proportions sont bien respectées, avec toutefois, dans les passages à plus forte dynamique, des colorations très années 1970, le déficit en matière sonore étant alors compensé par l’ajout, en plus des ondes Martenot, de plusieurs instruments électroniques délibérément « vintage » : orgue Hammond et synthétiseurs Moog… Affaire de goût, tant ces sonorités paraissent aujourd’hui criardes et datées. Pour le chœur, placé en hauteur hors scène, les artifices électroniques sont plus subtils, les choristes ayant préalablement enregistré une bande sonore, à laquelle ils superposent leur chant en temps réel.
Bien coordonnés par le chef allemand Clemens Heil, tous ces stratagèmes font illusion et ne défigurent pas l’ouvrage, au demeurant raccourci d’une trentaine de minutes, coupures raisonnées et, pour certaines, très pertinentes, en particulier dans le long prêche aux oiseaux.
Manque à cette soirée un François vraiment solide, Nathan Berg perdant progressivement de sa projection et, surtout, beaucoup de la clarté de son français, au fil d’un spectacle où il s’agite énormément. Rolf Romei, chargé habituellement des emplois de Heldentenor à Bâle, a bien davantage d’impact dans le rôle du Lépreux.
L’Ange d’Alfheiour Erla Guomundsdottir, surtout, parvient à nous envoûter, en dépit d’une mise en scène qui le réduit à un bizarre personnage de routard en pleine errance, sans aucun rayonnement éthéré.
LAURENT BARTHEL
© INGO HOEHN