Philharmonie, Grande Salle, 4 octobre
La saison lyrique 2020-2021 de la Philharmonie de Paris ne pouvait s’ouvrir sous de meilleurs auspices. Khovanchtchina (L’Affaire Khovanski) appartient au plus profond de l’âme de Valery Gergiev. Il l’a très souvent dirigée à la scène, l’an dernier encore, à la Scala de Milan, dans une nouvelle production du cinéaste Mario Martone (voir O. M. n° 149 p. 49 d’avril 2019).
Avec les forces du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Valery Gergiev aborde cet ouvrage foisonnant, épique, composite et tentaculaire, avec une ferveur toujours renouvelée, en privilégiant les moments les plus intimistes. L’émotion affleure dès les premières mesures, sans jamais retomber pendant les presque quatre heures de musique. Le temps semble suspendu, avec quelques instants de grâce, comme la prière du chœur, à la fin de l’acte III, où les voix parviennent à exprimer l’impalpable.
Le chœur justement, notamment masculin, semble respirer avec le chef dans une complicité idéale. Quant à l’orchestre, il est tout simplement somptueux.
La distribution, malgré plusieurs modifications de dernière heure – la troupe du Mariinsky peut y faire face sans aucune difficulté –, comble d’aise. Stanislav Trofimov offre une incarnation toute de hauteur et d’identification au rôle de Dossifeï, chef spirituel de la communauté des Vieux-Croyants. Basse chantante plus que profonde, il donne toute sa signification à ce personnage intensément ancré dans le passé.
Remplaçant Mikhail Petrenko, Mikhail Kolelishvili met en valeur toutes les ambiguïtés d’Ivan Khovanski. Le Golitsine d’Oleg Videman lui offre une réplique cinglante dans la magnifique scène qui oppose les deux princes, au début de l’acte II, dans toute la démonstration de leur vanité démesurée.
Evgeny Nikitin impose des moyens presque décuplés pour incarner le boyard Chaklovity. Evgeny Akimov campe un Andreï Khovanski pleutre et odieux à souhait, face à la délicate Emma de Violetta Lukyanenko.
Grande triomphatrice de la soirée, Yulia Matochkina offre un portrait saisissant de Marfa. Cette voix majestueuse, si caractéristique des mezzos russes par la générosité de son timbre, et dotée de graves enivrants, enflamme par sa force de caractère.
Au-delà des années et de l’amoindrissement des moyens, Larisa Gogolevskaya étonne encore en Susanna, dont elle traduit, avec la véhémence requise, le fanatisme qui l’habite. Et tous les autres rôles sont tenus avec un professionnalisme infaillible.
Cette Khovanchtchina concertante marquera durablement les esprits, après avoir soulevé l’enthousiasme du public.
JOSÉ PONS
PHOTO © ALBERTO VENZAGO