Comptes rendus Jeanne d’Arc conquiert Metz
Comptes rendus

Jeanne d’Arc conquiert Metz

08/10/2020

Opéra-Théâtre, 6 octobre

Initialement prévue en juin dernier, reportée pour cause de confinement, cette nouvelle production de Giovanna d’Arco valait la peine que l’on se batte pour elle, comme l’ont fait les équipes de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, sous la conduite de leur directeur, Paul-Émile Fourny, également metteur en scène et scénographe du spectacle. Monter un ouvrage aussi exigeant pour les chœurs dans une salle de sept cents places, au plateau exigu, en respectant les consignes sanitaires, relevait de la gageure : elle a été brillamment tenue.

Faisant de nécessité vertu, Paul-Émile Fourny et Patrick Méeüs (scénographe associé, également en charge des lumières) traitent le septième opéra de Verdi comme un oratorio en costumes, ce qui n’a rien d’incongru, s’agissant d’un livret aussi décousu et « abracadabrantesque », dont la transposition visuelle peut vite basculer dans le grotesque. Aucun décor, donc, ni accessoire (sauf des oriflammes et un coussin bleu roi posé sur le sol, au deuxième acte), mais des projections en noir et blanc sur la paroi du fond et des costumes qui accrochent l’œil.

Signées Virgile Koering, les premières, tantôt fixes, tantôt mouvantes, évoquent, avec succès, aussi bien les différents lieux de l’action (forêt, champ de bataille, palais, cathédrale…) que les visions de l’héroïne. Se référant au Moyen Âge, avec des emprunts à l’heroic fantasy, les seconds, qui portent la griffe de Giovanna Fiorentini, jouent habilement des contrastes et apportent des touches de couleur bienvenues. Dommage que celui de Carlo VII, d’une pompe toute royale, siée aussi peu à Jean-François Borras.

Musicalement, un grand bravo, d’abord, au Chœur de l’Opéra-Théâtre, préparé par Nathalie Marmeuse, dont l’enthousiasme et la cohésion sont un bonheur constant. Les éloges sont aussi de mise pour l’Orchestre National de Metz, dans une disposition imposée par les contraintes sanitaires : les cordes à la place des premières rangées de fauteuils du parterre ; les autres pupitres dans la fosse, les baignoires de côté ou les coulisses. Le résultat est une réussite sur le plan sonore, la réduction de l’effectif des cordes leur évitant d’écraser tout le reste.

Garant infaillible des équilibres, Roberto Rizzi Brignoli, bien connu du public français, notamment messin, est décidément un grand chef de répertoire. En plus d’une admirable maîtrise de l’architecture orchestrale, il possède un sens aigu de l’influx verdien, hérité de Riccardo Muti, dont il a été l’assistant. Nous l’avions personnellement constaté dans Rigoletto à Orange, Il trovatore à Lille et La traviata à Nantes. Giovanna d’Arco l’a amplement confirmé.

Alléchante sur le papier, la distribution tient ses promesses, à une exception près : Pierre-Yves Pruvot, que nous aimons beaucoup d’ordinaire, trahit la fatigue en Giacomo. Luttant toute la soirée pour conserver justesse et stabilité, il n’y parvient que très imparfaitement. La voix bouge, le souffle se dérobe, sans que la sensibilité du musicien puisse compenser.

Giovanni Furlanetto et Daegweon Choi (issu du Chœur) se font remarquer dans les rôles très secondaires de Talbot et Delil, Jean-François Borras tirant tout le parti vocal possible de Carlo VII, sans doute le plus ingrat, avec Ismaele dans Nabucco, de tous les ténors verdiens. Avec un timbre toujours aussi séduisant, une émission idéalement placée et contrôlée, un aigu facile et puissant, le ténor  français se contente certes de chanter. Mais comment lui reprocher son déficit d’incarnation dans un personnage aussi inconsistant ?

La première Giovanna de Patrizia Ciofi, enfin, est telle qu’on l’attendait. Après trente et un ans de carrière, l’instrument met évidemment plus de temps à s’échauffer et le vibrato à se stabiliser. Sans surprise, la vigoureuse cabalette de la fin du Prologue (« Son guerriera »), taillée pour un grand soprano drammatico d’agilità, échappe donc à cette voix restée fondamentalement lyrique.

La suite du rôle, heureusement, se situe pour l’essentiel dans ses meilleures notes et, l’émission gagnant en assurance au fil de la soirée, même les accents martiaux de la strette du duo avec Giacomo (« Or dal padre benedetta ») se projettent avec le punch nécessaire. Quant aux ensembles, notamment les magnifiques finales du III et du IV, ils bénéficient d’un aigu ayant incontestablement gagné en densité depuis une dizaine d’années.

Le meilleur, néanmoins, est à chercher dans les cantilènes (« O fatidica foresta », « Amai, ma un solo istante »…), où l’artiste, jouant de toutes ses ressources techniques, atteint au sublime. Transcendant les limites d’un personnage aux contours imparfaitement dessinés, la grâce des pianissimi, les raffinements de la ligne de chant, l’émotion du phrasé hissent alors Giovanna au niveau de Gilda et Luisa Miller – deux des plus mémorables incarnations de Patrizia Ciofi.

La performance de la soprano italienne, venant après celles de Renata Tebaldi, Katia Ricciarelli, Montserrat Caballé ou Anna Netrebko, suffira-t-elle à faire entrer Giovanna d’Arco au répertoire régulier des théâtres ? Gageons que cet opéra aux beautés indéniables, mais affligé de flagrants handicaps, demeurera encore pour longtemps une rareté. Seule la présence d’une authentique prima donna peut, en effet, justifier son retour.

RICHARD MARTET

PHOTO © OPÉRA-THÉÂTRE DE METZ MÉTROPOLE/LUC BERTAU

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