Comme je le craignais dans mon dernier éditorial, la vague du « Covid-19 » a continué à faire des ravages dans l’univers du spectacle vivant, avec des réactions en chaîne aux conséquences dramatiques.
La France n’est évidemment pas seule en cause, avec l’annulation de la fin de saison du Metropolitan Opera de New York et du Staatsoper de Vienne, des Festivals de Bayreuth, Édimbourg et Munich, pour ne citer qu’eux. Mais, alors qu’à l’étranger, de nombreux théâtres et manifestations estivales laissent encore planer le doute sur la tenue des représentations prévues entre juin et août, le paysage hexagonal s’est brutalement éclairci après l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron, le soir du 13 avril.
Rappelons-en le passage concernant l’univers de la culture : « Les lieux rassemblant du public, restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées, resteront en revanche fermés à ce stade. Les grands festivals et événements avec un public nombreux ne pourront se tenir au moins jusqu’à mi-juillet prochain. »
La formulation entretient des zones de flou mais, renseignements pris, les théâtres ont presque tous annulé leur programmation jusqu’à l’été. Côté festivals, Aix-en-Provence et Orange ont fait de même, comprenant d’emblée qu’ils étaient concernés. Ils se sont néanmoins réservé la possibilité de jouer sans public, comme le rapporte Le Monde, dans son édition du 17 avril.
Pierre Audi, directeur général du Festival d’Aix, étudie ainsi « les possibilités de proposer, grâce au strea-ming, une présence du Festival ». Jean-Louis Grinda, son homologue des Chorégies, caresse l’espoir de « sauver » La forza del destino du 1er août. « J’espère que le spectacle pourra être capté et diffusé », explique-t-il, alors qu’il est en pourparlers avec Radio France et France Télévisions.
Le flou persiste, en revanche, pour beaucoup de festivals qui ignorent les contours de l’adjectif « grand » dans ce contexte et se demandent à partir de quelle jauge un public est jugé « nombreux ». D’autant que le ministère de la Culture, qui devrait a priori assurer l’explication de texte de la parole présidentielle, peine à arrêter sa position. Dans l’attente de réponses claires sur la question de la jauge, chacun doit donc se débrouiller tout seul. Par sécurité, le Festival international d’opéra baroque et romantique de Beaune a ainsi décidé d’annuler ses deux premiers week-ends (du 10 au 19 juillet), tout en maintenant, pour l’instant, les deux derniers (du 24 juillet au 2 août).
Les conséquences d’une vague s’apparentant plus que jamais à un tsunami sont incalculables. Pour les théâtres et festivals, d’abord, mis littéralement à l’arrêt pendant plusieurs mois, avec les pertes financières que cela implique. Les pouvoirs publics, tant au niveau de l’État que des collectivités territoriales, sont en train de mettre en place des mesures de soutien à leur intention. Eux, de leur côté, essaient au maximum de reporter les spectacles annulés sur les saisons futures, avec succès, le plus souvent. À Orange, Jean-Louis Grinda a ainsi décalé à l’été 2021 sa production tant attendue de Samson et Dalila, avec Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux, pour laquelle les recettes de billetterie s’annonçaient exceptionnelles.
La situation est également dramatique, pour ne pas dire catastrophique, pour les artistes et, plus généralement, l’ensemble des intermittents, privés de leur principale source de revenu. Des voix se sont levées pour donner l’alerte, en particulier celle de Ludovic Tézier. D’abord dans une lettre ouverte, sur le site forumopera, puis dans une tribune, publiée dans Le Figaro du 8 avril et dans Le Monde du 12 avril, qu’il faut absolument lire. Sur le fond comme sur la forme (quelle qualité de plume !), elle fait admirablement le tour des enjeux.
L’État a d’ores et déjà pris des mesures pour venir au secours « des troubadours et saltimbanques qui vont par les routes, souvent loin des leurs », comme les appelle joliment Ludovic Tézier, notamment en assouplissant les règles du recours à l’intermittence. Les théâtres et festivals, de leur côté, font leur maximum, dans la mesure de leurs moyens, et versent un demi-cachet, prennent en charge les défraiements… voire pensent à indemniser les agents artistiques, profession également touchée de plein fouet par la crise.
Sur une plus petite échelle, il est enfin impossible de passer sous silence les difficultés de la presse spécialisée, musicale en particulier. Comme vous pouvez le constater, le numéro de mai d’Opéra Magazine a une pagination réduite, conséquence de la diminution drastique du nombre des comptes rendus de spectacles. Et la situation ne va pas s’arranger pour les numéros de juin et juillet-août… Pour autant, nous ne voulons pas baisser les bras et entendons bien poursuivre notre activité !
Alors que j’arrive à la longueur maximale permise pour cet éditorial, je me rends compte que je n’ai plus assez de place pour vous parler de l’« après ». Sans doute est-ce encore un peu tôt pour le faire, mais il se trouve que j’ai déjà reçu les brochures de saison 2020-2021 d’un certain nombre de théâtres. Quelles que soient les incertitudes de demain, elles sont porteuses d’espoir et je brûle d’impatience de vous en parler !
RICHARD MARTET